Théâtre – Jean RACINE : Britannicus (2018)

Britannicus

Laurent Stocker et Dominique Blanc

Après la déception que m’a causée la mise en scène de « La nuit des rois » de William Shakespeare, la semaine dernière (voir mon blog), quel plaisir de retrouver cette belle troupe de la Comédie Française dans une mise en scène respectueuse de leur talent, signée Stéphane Braunschweig, actuel Directeur du Théâtre national de l’Odéon (cela me donne envie d’y revenir…) après avoir été celui du Théâtre de La Colline jusqu’en 2016.

Britannicus, pièce donnée pour la première fois en 1669, est une pièce sur le Pouvoir et sa faculté à corrompre les relations humaines lorsqu’on s’abandonne à lui et sur tout ce qu’un être humain est prêt à faire pour le gagner ou le conserver.

Lorsque la pièce commence, Néron est Empereur depuis deux ans et Rome coule des jours pacifiques. Arrivé à cette position grâce à sa mère, Agrippine, qui, déjà affiliée de maintes manières à des Empereurs (descendante d’Auguste, adoptée par Tibère et soeur de Caligula), finit par épouser son oncle, l’Empeur Claude, déjà père de Britannicus (mère : Messaline) et par marier son fils Néron, né d’une précédente union et adopté par Claude, avec Octavie, fille de Claude et soeur de Britannicus. Oui je sais, c’est un peu compliqué, mais je compte sur l’intelligence de mes lecteurs pour ne pas décrocher 🙂 . 

Ce qui va mettre le feu aux poudres dans cette situation, déjà assise sur un volcan proche de l’éruption, c’est l’amour subit de Néron pour la promise de Britannicus, Junie. Le système va se mettre en contrainte et contraindre les protagonistes, avec Néron en Deus ex machina, enchaînant chantages, violences verbales jusqu’au meurtre, presque rituel, pourrions-nous dire. Le Mal va se déchaîner, porté par un contexte familial déjà très chargé ; nous assistons ici au basculement d’un homme vers le côté obscur de la Force. Comme si au travers d’un fait amoureux, toute l’horreur de l’histoire ascendante se faisait jour. Les confrontations les plus intéressantes sont entre Néron et sa mère, Agrippine, car elles concentrent les deux motifs décrits ici, l’histoire familiale et les sentiments associés et la soif du Pouvoir.

Le metteur en scène a pris le parti d’un décor sobre et pourtant signifiant. Acteurs vêtus en executive man et woman, tailleurs ou robes de couleur foncé, chemises/chemisiers blancs, talons pour les femmes et cravates pour les hommes ; et pour décor une grande table de réunion ovoïde nantie de chaises design. Tout va se passer ici, comme pour nous renvoyer à notre système d’élites, capitaines d’industrie et capitalistes. Autres temps, autres moeurs, cette transposition nous permet sûrement de mieux comprendre cette histoire ancienne et pourtant si vivante.

Dans cette sobriété, comme s’il se mettait en retrait, Stéphane Braunschweig laisse une liberté (presque) totale au talent des comédiens. Quel bonheur de voir Dominique Blanc camper cette mère réchappée de tant de menaces et qui a tout fait pour son fils ; Laurent Stocker nous donne à voir un Néron très juste, entre enfant révolté et maître du monde glaçant. Stéphane Varupenne (Britannicus) est vraiment un acteur à suivre, excellent dans ce rôle ; de même Georgia Scalliet (que nous sommes contents de revoir dans des costumes décents, cf. mon allusion sur Shakespeare plus haut) nous montre son art et la sensualité de sa voix et de sa déclamation.

C’est un très beau spectacle, qui nous montre que, quand le texte et sa portée sont de très bon niveau, il suffit de laisser une troupe talentueuse s’en emparer.

FB