Théâtre – William SHAKESPEARE : La nuit des rois (2018)

Cette pièce est une des plus célèbres comédies de William Shakespeare, jouée pour la première fois en 1602 ; elle repose sur la question de l’identité et du genre, une femme travestie (Viola en Cesario) jouant ici l’élément perturbateur dans le système, et l’on peut imaginer, à l’époque de l’auteur, quand tous les rôles masculins et féminins étaient tenus par des hommes, l’ambigüité qui s’en dégageait. C’est aussi une pièce sur l’Amour, avec un A majuscule, ou plutôt sur l’idée de l’Amour, un amour intangible et exclusif qui finit par oublier l’être aimé pour tourner sur lui-même ; ainsi vont Olivia dans les sentiments qu’elle porte à son frère et Orsino pour ceux qu’il porte à Olivia. Ce à quoi ils s’accrochent s’avère finalement un idéal désincarné plutôt que l’aspiration à une relation avec celui qui est l’objet de cette flamme, comme le montreront leurs deux revirements. Autour d’eux, des flammes plus sincères et concrètes, qui trouveront ou non un aboutissement.

Remettons-nous en tête l’argument. Viola, jeune femme noble, et son frère Sebastian échouent après une tempête sur les côtes d’Illyrie, dans une contrée gouvernée par le Duc Orsino, qui se meurt d’amour pour Olivia. Chacun des deux jumeaux croit l’autre mort et fait son chemin. Viola décide de se travestir en homme (pour assurer sa sécurité ? #Metoo ! 🙂 ) et entre au service du Duc, qui l’envoie porter des messages amoureux à Olivia. Cette dernière a décidé de porter le deuil illimité de son frère et refuse les avances du Duc. Viola/Cesario arrive à s’introduire dans ses appartements et gagne, à son coeur défendant, son amour, pendant que Viola, elle-même, tombe amoureuse du Duc. La réapparition, dans le dernier tiers de la pièce, de Sebastian (accompagné d’Antonio, un marin aux sentiments très troubles envers le jeune homme…) finira par faire tomber tous les imbroglios noués au fil des scènes.

C’est une oeuvre à l’argument que Marivaux n’aurait pas désavoué, cache-cache amoureux au dénouement attendu et aux mille rebondissements. S’ajoute ici, comme toujours chez William Shakespeare, l’introduction de personnages « grotesques », qui ont pour fonction d’alléger la pièce, mais également de la rendre plus terrienne, de faire contrepoids à l’élévation des sentiments, comme chez Anton Tchekhov, qui utilise le même procédé. D’un côté l’aspiration aux étoiles et à l’absolu, de l’autre, l’ancrage dans une réalité grossière et presque vulgaire, comme un résumé condensé de la condition humaine.

Il est donc difficile de jouer sur ces deux registres en même temps tout en gardant une cohérence à l’ensemble. En général, c’est la partie « grotesque » qui est sacrifiée, comme lissée, si l’on peut dire, pour se raccorder au reste de la pièce, l’accent étant mis sur le badinage amoureux des protagonistes.

Ici tout paraît inversé. J’avoue avoir eu envie de partir au bout d’une heure à peine, tellement je m’ennuyais devant la platitude de ce que je voyais, jusqu’à ce que débarquent sur scène les trois personnages « grotesques », Sir Toby Belch, parent d’Olivia (Laurent Stocker), Sir Andrew, son ami (Christophe Montenez) et le bouffon d’Olivia (Stéphane Varupenne) qui nous ont donné un show extraordinaire et absolument irrésistible (nous avons failli collectivement mourir de rire !). La pièce s’est ensuite déroulée pour moi entre moments de jubilation, quand les « grotesques » étaient sur scène et moments d’ennui, quand ils n’étaient pas là. Cette inversion des moments forts de l’oeuvre peut effectivement s’avérer intéressante, sauf à nuire au sens même recherché par l’auteur.

J’ai déjà chroniqué sur ce blog une pièce montée par Thomas Ostermeier, qui est un de mes plus mauvais souvenir de théâtre (« Mesure pour mesure » du même William Shakespeare au Théâtre de l’Odéon). Je me demande réellement ce que cherche ce metteur en scène, sauf à vouloir tout déconstruire et tout vulgariser (sans proposer autre chose, notons-le). Adulé des médias (j’ai vu que la pièce avait été citée par les journaux télévisés), ce qui renvoie ses détracteurs à être des passéistes, qui ne comprennent pas la modernité.

Mais non, Monsieur Ostermeier, je suis pour la nouveauté si elle apporte quelque chose, en termes de sens, aux oeuvres proposées. J’adore le travail d’Ivo Van Hove, par exemple, comme j’ai déjà pu le dire ici.

Que nous proposez-vous ici ? Des décors sans intérêt (que viennent faire les singes et les palmiers ?), des costumes moches (voir ci-dessous) et hors de propos : tous ces acteurs, vraiment talentueux, obligés de jouer dans ces conditions, à moitié nus et à moitié vêtus d’habits hideux. Si vous vouliez faire ressortir le côté « sexy » et empreint de désir de ces femmes et hommes qui se croisent, c’est un ratage, nous ne ressentons que mépris envers eux, qui les avilit et nous donne à voir une pantomime désincarnée, où même de grands acteurs comme Denis Podalydès, n’arrivent pas à tirer leur épingle du jeu.

Vous excellez dans les scènes portées par les « grotesques », sûrement parce que c’est votre vision de l’Humanité, que je ne partage pas, même si j’ai adoré les performances des acteurs dans ces rôles, comme je l’ai déjà dit.

A vous, lecteurs affûtés, de vous faire votre propre idée.

FB

nuit des rois

Et les costumes sont de…