Voilà un passage incontournable pour tout visiteur qui s’attarde en Chine et voit un peu plus loin que la Grande Muraille ou l’armée de terre de Xian. Situés dans l’arrière pays de la province du Fujian, province maritime dont je viens d’écrire une chronique sur la belle ville portuaire de Quanzhou, ces maisons (au moins 46 d’entre elles) ont été classées au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008. Bâties entre le XVe et le XXe siècle, on les appelle des tulous 土楼 (« édifice de terre »), elle sont disséminées sur une centaine de kilomètres et regroupées en villages.
Ces édifices ont été construits par les Hakka 客家人 (« familles hospitalières »), des Hans qui ont fui le centre de la Chine et ses guerres dynastiques à partir du IIIe siècle, pour s’établir par vagues successives dans les provinces du sud, à la recherche de bonnes terres. Ce sont des paysans, ils sont connus pour leur force de travail et leur détermination, peuple migrant souvent affronté à l’adversité. De là vient également leur sens de la solidarité et de la communauté.
Les plus anciens tulous sont de forme carrée. Ils sont composés en général de fondations faites de pierres scellées les unes avec les autres, surmontées de murs de briques.
A l’intérieur, tout est en bois, des coursives bordent les trois étages, qui remplissent chacun une fonction différente : au rez-de chaussée la cuisine, au dernier étage les pièces de vie et entre les deux, des espaces de stockage. Chaque famille reçoit la même dotation, un « tronçon » vertical de cet ensemble (sur la photo ci-dessous, les piliers font les démarcations entre ces différentes allocations).
Cela donne une vraie vie de communauté, tout le monde se retrouve dans l’espace central pour cuisiner, travailler (pour les travaux qui ne se font pas dans les champs) et prier (même si nous notons ici comme ailleurs en Chine un exode vers les villes ou vers des maisons modernes, laissant seuls les habitants les plus âgés). Cette vie en commun se perçoit bien dans l’image ci-dessous.
Ce choix très particulier d’habitat vient d’un besoin de sécurité, la porte unique ouvrant sur l’extérieur une fois barricadée, il est difficile pour des assaillants de pénétrer dans le tulou. Mais assez vite, ce plan carré va apparaître inégalitaire, créant une disparité entre ceux qui bénéficient des appartements au centre et ceux qui occupent appartements d’angle, moins lumineux et moins aérés.
Va se faire jour l’idée de maisons rondes, où tout le monde sera sur un pied d’égalité (bien sûr, si nous commençons à nous préoccuper de surcroît de l’orientation, sud/nord/est/ouest, nous ne sommes pas sortis de l’auberge, ou plutôt du tulou !).
Rond ou carré, cela rappelle l’importance symbolique de ces deux figures géométriques : pour les Chinois, le rond évoque le ciel et le carré la terre. Y aurait-il ici une signification cachée dans le choix des formes ? Je ne sais mais je voulais souligner cet aspect très pregnant dans l’ancien temps chinois.
Les gens qui vivent ici, comme je l’ai dit plus tôt, sont ancrés dans la terre, les cultures ont façonné les paysages qui entourent les villages.
Ici on cultive aussi le riz, qui s’étage au-dessus des villages en pentes souples.
Le thé du Fujian est réputé, c’est du thé oolong 乌龙 (« thé du dragon noir ») que l’on fait sécher dans des paniers en osier superposés.
Je me suis arrêtée dans une petite échoppe, qui vendait bien des merveilles, entre autres du miel de la montagne, des cacahuètes nature et de délicieuses petites mandarines confites à la menthe (excellent pour les voies respiratoires, comme déjà évoqué, ici la nourriture et la boisson sont surtout liées à la santé et moins au goût, comme chez nous).
J’ai fait une dégustation de thé oolong sur place, il était tellement bon que j’en ai rapporté deux différents, dont l’un fait penser au thé blanc. Mystère des thés chinois.
Mais la vedette de la saison, c’est le bambou (春笋, chunsun, bambou de printemps), que l’on vient de ramasser au moment je visite ces villages. On peut le déguster frais, c’est un délice.
Le plus souvent, il est mis à sécher à l’air libre, avec des techniques parfois très inventives.
Une autre manière de le préparer pour la conservation est de le faire cuire. J’ai visité un tulou dont c’était l’activité principale dans le village.
Pour revenir sur la religion, au-delà des temples intégrés aux tulous, il existe de nombreux petits sanctuaires au croisement des routes, les Tudigong (« grand-père de la Terre »), auquel les autochtones rendent grâce en passant, avec une petite offrande.
Et pour terminer, je vous livre ces photos magnifiques de ces édifices, où l’on voit toute la beauté originale de leurs structures. Il paraît que les Américains, après avoir eu des images satellite de ces endroits, pensaient que c’étaient des bases de lancement de missiles. Je me demande ce qu’en diraient des extra-terrestres, s’ils pouvaient voir ces maisons si étranges depuis là-haut !
Une promenade saisissante de beauté, une immersion dans la campagne chinoise luxuriante et si loin de ma base, Pékin, que j’ai été vraiment transportée dans un ailleurs.
FB