Musiques – Henry PURCELL : Didon et Enée (1689)

didon énée

Présumé être le premier opéra anglais, composé par une étoile fulgurante de la musique, Henry Purcell (1659-1695), c’est une oeuvre d’une grande beauté, qui tranche avec les oeuvres antérieures qui se réclament du genre par la cohérence de son récit.

Il nous conte, d’après Virgile, les amours contrariées d’Enée et de Didon. Le premier, fils d’Anchise, Roi de Troie, fuit la ville saccagée et doit, sur commandement de Zeus, fonder une ville (la future Rome). Il fait escale à Carthage, rencontre la Reine, Didon, dont il tombe amoureux. Payé de retour, il coule des jours heureux jusqu’à ce que Zeus le rappelle à son devoir ; il quitte alors la reine qui, de chagrin, met fin à ses jours.

En forme d’histoire d’amour contrariée par les Dieux, qui en ont décidé autrement, aidés par des sorcières en complot (qui prendront ici la voix et l’apparence des protagonistes, comme pour signifier que ce Fatum, ce destin implacable voulu par les Dieux, est quelque part intégré par ces premiers, même s’ils semblent le combattre), ce drame est pur (Didon refusera le repentir d’Enée, car la première trahison lui est insupportable) et implacable.

C’est une oeuvre qui alterne récitatifs accompagnés au clavecin, arias en solo ou en duo et morceaux chantés par le choeur, posant ainsi les règles implicites qui vont gouverner l’opéra jusqu’au XIXe siècle (Giuseppe Verdi compris). Petite par le format (une heure environ), elle porte en elle un foisonnement de courtes séquences qui varient de la joie au drame. Je dois dire que je suis toujours très touchée par l’épisode de la mort de Didon que je tiens, dans ma connaissance limitée du sujet, comme une des plus belles pièces de musique que j’ai entendues.

Le Théâtre de l’Athénée, ce joli lieu intime tout d’or, de dorures et de cariatides, où plane encore l’ombre de Louis Jouvet, paraissait se plier à merveille à l’évocation de cette histoire : elle ne nous était racontée qu’à nous autres, une poignée de spectateurs ayant préféré l’obscurité des salles à la belle lumière du dehors. Et nous en fûmes bien récompensés, soulagés de nos regrets de promenades dans ce Paris de presque automne.

Car tout était réussi ici.

De très belles voix, tout d’abord. Chantal Santon Jeffery (Didon), dans tout l’éclat de sa voix répondait à Yoann Dubruque (Enée), superbe, bien accompagnés par Daphné Touchais en Belinda, suivante de Didon et par le Jeune choeur de Paris. Le choeur, parlons-en justement. Loin d’être statique, il occupe la scène, se déploie, se replie en des chorégraphies qui habitent l’espace et rythment le récit ; couples enlacés quand il célèbre l’amour, silhouettes menaçantes et tordues à l’unisson avec le grincement des sorcières ou tout en empoignades franches quand Enée est au coeur de ses troupes.

La mise en scène est élaborée, même si elle vise à la simplicité, elle ne cherche pas tant à s’imposer pour elle-même qu’à souligner l’intrigue. Ainsi le parti-pris de noir et blanc, qui habille le choeur et le décor, renforce cette idée de forces en opposition, d’un côté le blanc lumineux de l’intrigue amoureuse, de l’autre les forces négatives à l’oeuvre pour la déjouer. Didon, elle, est vêtue de rouge, couleur de l’amour et du sang, celui de sa destinée.

Tout le monde reste sur scène, du début à la fin, créant une dynamique collective qui convient bien à l’oeuvre. Quelques accessoires, astucieusement utilisés, accompagnent les différentes phases de l’histoire ; ainsi, belle idée, Didon et Enée apparaissent au premier air chanté par le choeur dans des cages (voir photo ci-dessus) promenées par le choeur, comme pour montrer qu’ils sont ballotés, sans maîtrise sur leur destinée ; de même, des voiles viendront ponctuer l’espace, créant de fragiles grottes pour les sorcières ou isolant les protagonistes au gré de l’avancée du récit. Notons la belle utilisation de la lumière également.

Un orchestre resserré de treize instruments, mené par Johannes Pramsohler joue la partition toute en vivacité.

C’était merveilleux… Que dire de plus ?

En conclusion, la « mort de Didon » par Stéphanie D’Oustrac, une remarquable chanteuse.

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