Pékin – Promenade à Dongcheng 东城 (2024)

J’habite dans un hutong 胡同, ces allées traditionelles de Pékin, qui ont fait l’objet de bien des destructions au XXe siècle et sont maintenant préservées (tout du moins nous l’espérons). Tout un petit monde vit ici, partageant des wc communs, des chiffonniers, des ouvriers, des vendeurs dans les marchés. Et dans les rues, c’est comme un joyeux bric-à-brac de véhicules, de linge qui sèche en plein air, de meubles et autres.

En sortant de chez moi

Mon quartier est celui de Dongcheng 东城 (littéralement : ville de l’est), un vaste ensemble au centre de la ville, qui contient les plus prestigieux monuments de la ville, la Cité interdite, la Place Tian An Men, le Temple des Lamas ou le Temple du Ciel, pour ne citer que les plus importants. Le quartier fait 40 km² (à titre de comparaison, le 20e arrondissement de Paris, l’un des plus vastes, totalise un peu moins de 6 km², et Paris tout entier à peine 105 km² ; oui ici tout est plus grand et tout est plus loin, je l’ai déjà dit !).

Récemment, je suis partie faire une balade dans le coin, inspirée d’une recommandation trouvée sur WeChat, à laquelle j’ai ajouté quelques déviations de mon crû, que je vais vous faire partager ici. Sans transition, au sortir de l’une de ces ruelles, j’arrive sur dongzhimen neidajie 东直门内大街 autrement appelée 簋街, Guijie (la rue des fantômes), en référence aux illuminations qui bordent cette rue, dédiée depuis les années 1980 aux restaurants, et qui font comme des figures fantomatiques.

Un des restaurants de la chaîne 胡大, l’une des plus célèbres, avec des tabourets pour attendre une table

Sur presque un kilomètres s’alignent des restaurants aux spécialités diverses, avec cependant un focus sur les écrevisses, les cuisses de grenouille et le poisson épicé.

Les restaurants ont revêtu leurs habits de Nouvel An

N’étant pas une grande fan de poisson, j’ai préféré aller me sustenter dans un petit restaurant de pâtes coupées au couteau (dao xiao mian) 刀削面, un de mes pêchés mignons.

Le restaurant avec ses tables en bois

Ces nouilles sont faites en découpant au couteau des blocs de pâte (un peu comme quand vous faites des bâtonnets de légume avec un économiseur), ce qui leur donne cet aspect irrégulier. Elles peuvent être servies « sèches » 干 ou avec du bouillon ; les assaisonnements sont innombrables, viande, légume, épices…

Et quelques minutes après, ce bol de nouilles aux aubergines

Pleine d’énergie (il en faut, j’ai fait 12 kilomètres ce jour-là), je suis repartie à la recherche de ces pépites qui hantent les rues de la capitale.

Une porte traditionnelle, ornée du caractère fu 福, qui signifie « bonheur »

Nous sommes près de la station de métro Beixinqiao (北新桥), soit le Nouveau pont du nord, qui cache une légende de l’époque Ming, selon laquelle, cette dynastie, qui voulait étendre la ville vers le nord, s’est heurtée à un dragon ancestral. C’est une histoire de tromperie, le dragon ayant promis de respecter la ville jusqu’à ce que ce pont devienne vieux, les officiels ont alors nommé le pont du nom de « nouveau », qu’il a gardé depuis (peut-être en va-t-il de même avec tous les « Ponts Neufs » qui enjambent les cours d’eau dans nos villes françaises, qui sait ?).

Quittant la station de métro et ses alentours emplis de restaurants, j’ai gagné d’autres horizons, pour dénicher ces belles portes qui persistent à défier le temps.

Un hutong typique, véhicules emmaillotés pour résister au froid
Avec ces petits engins motorisés que j’adore
Et au détour d’une ruelle, des entrées imposantes et magnifiques

J’ai ensuite repris l’artère principale d’où ces ruelles font comme des veines secondaires, continuant ma route vers le sud.

J’ai croisé ce dragon rose bien impressionnant, hommage à cette nouvelle année placée sous son signe

A l’intersection suivante, je vois une partie d’un immense ensemble à l’inspiration européenne (moitié anglais, moitié hollandais, avec un petit je ne sais quoi d’italien) ; c’est un lieu historique, le quartier général du général Duan Qirui (1865-1936), un des seigneurs de guerre qui ont émergé après la chute de l’Empire en 1912. Il a joué un rôle important dans la toute nouvelle République de Chine fondée à ce moment-là. Le bâtiment a été le siège du gouvernement à partir de 1924.

Nous resterons malheureusement à l’extérieur
Windsor ? Je ne sais…
Mais l’entrée est bien chinoise

Juste à côté se trouve une stèle commémorant les victimes du 18 mars 1926, 50 morts et 200 blessés parmi des étudiants qui manifestaient contre Duan Qirui. Notons que la manifestation avait commencé à Tian An Men…

En continuant ma route sur cette grande avenue, je parviens à l’ancienne demeure d’Ouyang Yuqian (1889-1962), un artiste de théâtre très renommé sous la République populaire de Chine. Toujours ce mélange d’architectures occidentale et chinoise, assez surprenant.

Bien que faisant partie des bâtiments protégés, l’entretien laisse quelque peu à désirer

J’arrive ensuite à la demeure de He Jing (1731-1792), troisième fille de l’Empereur Qianlong, qui fut mariée à un prince mongol en 1747 et quitta Pékin pour la Mongolie, tout en conservant cette maison.

Avec de bien beaux panneaux de pierre sculptée
J’ai beaucoup aimé les portes

C’est incroyable comment une simple promenade près de chez vous peut se transformer en parcours historique, pour peu que vous vous intéressiez à ce qui vous entoure.

Vient ensuite, toujours le long de cette grande rue Zhang Zi Zhong que je parcours vers l’ouest, la maison de Gu Weijun (1888-1985), connu sous le nom de Wellington Koo, ambassadeur dans bien des pays occidentaux, y compris en France, ayant participé à la fondation d’instances internationales, les Nations Unies par exemple. Il a également été un fugitif chef d’état de la République de Chine.

C’est ici que Gu Weijun a hébergé Sun Yat Sen, le premier Président de la République de Chine, quand il venait se faire opérer d’un cancer du foie ; et c’est ici que ce dernier est mort en mars 1925.

Avec des lions gardiens qui semblent pleurer devant ces plots qui leur prennent leur travail

Avant de continuer ma route, je me suis laissée attirer par l’enseigne bien aguicheuse d’une pâtisserie locale.

Une façade bien multicolore

Ces magasins sont très typiques ici, et assez contre intuitifs pour nous, car ils proposent à la fois des mets salés, le plus souvent des morceaux de viande grillées, et des gâteaux.

Ici la viande, pattes de poulet, abats et autres
Et pour les becs sucrés, des gâteaux

Les gâteaux sont à base de riz ou de blé, parfois de maïs et incorporent des jujubes, des noix, du sésame, du jaune d’oeuf ou de la pâte de haricot rouge, pour les plus répandus.

Sustentée (heureusement !), j’ai croisé sur mon chemin ce vestige des années passées, un stand de test PCR à l’abandon…

Souvenir, souvenir ou cauchemar, cauchemar ?

Il y a parfois des choses étranges ici, tel cet immense aquarium en bordure d’une maison, dans le Hutong que j’ai pris sur ma droite.

Dans cette rue, le Hutong Fuxue, se trouve le mémorial dédié à Wen Tanxiang (1236-1283), poète et homme politique sous les Song du Sud. Sa résistance contre l’invasion mongole et l’installation de la dynastie Yuan en Chine en a fait un héros national. Le monument a été érigé au XIVe siècle sur ce que l’on pense être le lieu de son exécution.

La porte d’entrée

C’est un très joli endroit, aux petites cours calmes ornées d’arbres, dont un jujubier courbé selon un angle droit, particulièrement impressionnant.

Habillé de rouge, la couleur positive en Chine

J’ai continué mon chemin, pour aller à la découverte de la Maison d’un Prince mongol, dite « Maison Seng Wang » (maison du prince Seng), Sengge Richen (1811-1865), qui comprenait plus de 200 maisons (je vous rassure, de petites maisons) et qui est désormais protégée.

Il faut faire un effort d’imagination ici
Quelques bornes de porte vous rappellent le passé

Après ces tours et détours dans cet entrelac populaire et chaleureux, qui abrite des vestiges anciens, comme des strates du passé prestigieux de la ville, dragon antique, princesse han, acteur, seigneur de guerre et hommes politiques de la République de Chine, j’ai repris le cours du temps actuel, quand j’ai débouché sur la rue Nanluoguxiang 南锣鼓巷, artère bien refaite, ponctuée de stands de restauration et très courue par les Chinois (surtout jeunes).

Une vraie confrontation à la réalité moderne qui n’a donné que plus de poids à mon errance dans le passé de la ville.

FB