Chine – Musée de la guerre de la résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise (2024)

Si vous parlez de la ville de Nanjing à un Chinois, il ne se souviendra pas de la capitale ancienne, rehaussée de ce magnifique rempart de l’époque Ming, non, il vous donnera immédiatement un nombre 三十万 (san shi wan, soit 300 000), celui des morts martyrisés en à peine quelques semaines par les Japonais après la prise de la ville en 1937 (à noter que les historiens japonais les plus « optimistes » parlent de 40 000 morts et que, comme souvent, la vérité historique n’a pas pu être établie de manière certaine – 40 000 morts, ce qui sûrement bien en-dessous de la vérité est déjà un nombre impressionnant).

A l’intérieur du musée, la mention qui doit frapper les esprits, pour une fois dans des langues multiples

C’est un épisode noir de l’histoire de la Chine, mais également un chapitre bien violent dans l’histoire de l’Humanité (ou de « l’Inhumanité » ?). Il s’inscrit dans le cours de la Deuxième Guerre Sino-Japonaise, initiée en 1937, avec des prémices datant de 1931 quand l’armée japonaise envahit la Mandchourie, une province du nord de la Chine.

En décembre 1937, après la prise de Shanghaï par les forces japonaises, Tchang Kaï Chek, chef du Kuomintang, décide de fuir Nanjing, dont il avait fait sa capitale et laisse sur place le général Tang Shengzhi, qui lève une armée impréparée de presque 100 000 hommes et installe un blocus pour éviter la fuite de la population (grossie depuis peu de bien des Chinois en fuite devant l’avancée de l’armée impériale japonaise, qui ont fait passer la population de la ville de 250 000 personnes à un million). Les routes sont fermées, les bateaux coulés, enfermant les locaux et les réfugiés dans une vraie souricière.

Après un simulacre de défense chinois, l’armée japonaise conduite par Asaka Yasuhiko, membre de la famille impériale, entre dans Nanjing (que nous connaissons sous le nom de Nankin). Forts d’une décision ratifiée par l’Empereur Hiro Hito en août 1937, selon laquelle l’armée japonaise n’est pas tenue de respecter le droit international pour les prisonniers de guerre, et portés par une idée relayée à coup de boutoir dans la presse japonaise selon laquelle les Chinois ne sont que des porcs que l’on peut donc égorger sans difficulté (à l’instar des Untermensch, « sous-hommes », qualificatif utilisé par les Nazis pour désigner les Juifs), les Japonais vont se livrer à un massacre en règle de la population, meurtres, viols, pillages, incendies entraînent les habitants dans une spirale de violence difficile à imaginer.

Une femme pleurant son enfant mort, frontispice du musée

Comme la ville accueille des ambassades étrangères, les faits vont être relayés dans les pays occidentaux et c’est sûrement pour cela qu’ils ont eu ce retentissement (« Le sac de Nankin »). Un missionnaire américain, John Magee, a réussi à filmer toute cette horreur. Et certains Occidentaux ont décidé de rester sur place, donc l’Allemand John Rabe (1882-1950), membre du Parti Nazi et Minnie Vautrin (1886-1941), missionnaire américaine, pour essayer d’apporter leur aide (ils sont présentés dans le musée comme des héros, à l’instar des « Justes » dans le contexte de la Shoah), qui essayeront de négocier avec les Japonais et avec l’appui de la Croix Rouge, la création d’une zone de sécurité (qui s’avèrera bien précaire).

Minnie Vautrin et John Rabe

Durant les six semaines de calvaire endurées par la ville, entre 20 000 et 80 000 femmes ont été violées, parfois installées dans des lupanars improvisés, violées et violentées à la chaîne par des soldats, des centaines de milliers d’hommes, enfants et vieillards ont été tués, souvent d’une manière horrible (enterrés vivants, décapités, jetés par les fenêtres), nos Nazis n’ont pas à envier grand chose à toute cette violence gratuite.

C’est un traumatisme pour la population chinoise, nous pouvons aisément le comprendre, qui s’apparente à celui laissé par les agissements de la Deuxième Guerre Mondiale en Europe.

Le musée a été ouvert 50 ans après les faits en 1987, puissance des symboles. Il est sobre à l’extérieur, tout de gris, acier et vitres, rappelant l’architecture des bunkers.

La façade est

A l’entrée, un stand où les visiteurs peuvent acheter des chrysanthèmes blancs, qu’ils laisseront à des endroits dédiés dans le musée, comme pour fleurir cet immense cimetière virtuel (et réel également, puisque le musée a été construit sur une des innombrables fosses communes, nous pouvons voir à l’intérieur comme une immense excavation emplie de squelettes).

Il y a foule

L’extérieur du musée est spectaculaire, ponctué de statues très réalistes, conjuguant mouvements presque inhumains et rugosité de la matière.

Même les enfants sont invités à contempler toute cette violence, j’en reparlerai
Un civil essayant de fuir
Un mari secourant sa femme violée et poignardée
Une femme violée titubant

J’avoue avoir été très touchée par la beauté morbide de ces puissantes évocations statuaires. Le chemin balisé (comme souvent en Chine), me permet de voir plus avant ce projet architectural, très différent de ce que j’ai pu voir jusque là dans le pays. Formes massives de pierre ou d’acier sombres, prenant dans la lumière du jour qui tombe, des allures de mémorial/tombeau.

Une cloche qui rappelle la religion bouddhiste

Continuant mon chemin, je rentre dans la première salle, où des milliers de visages me contemplent dans une presque obscurité presque votive. J’ai pensé à une oeuvre de Christian Boltanski que j’avais vu à Paris, où étaient exposées les photos d’identité de victimes du Nazisme.

Il y a ici quelque chose de religieux, mémoire des morts et lumières tamisées

Je n’avais pas compris tout de suite que personne ne prenait de photo, ce qui est assez inédit en Chine, mais qui est une règle dans l’intérieur des temples et ici également (ce qui renforce ce que je disais sur le côté presque religieux de l’édifice). J’ai donc arrêté de photographier, à l’exception de ce cliché qui représente Matsui Imane (1878-1948), le commandant japonais à la tête de la prise de Nanjing.

En 1948, le Tribunal militaire international pour l’Extrème-Orient (créé pour juger les criminels de guerre japonais) l’a condamné à mort par pendaison, ainsi que cinq autre prévenus (notons que le Prince Asaka ne sera pas inquiété, bénéficiant à l’instar des membres de la famille impériale d’une immunité accordée par le Général américain Mac Arthur – il décèdera en 1981).

Pour revenir à ma visite (après avoir dressé un contexte qui plombe bien l’ambiance, j’en suis consciente, mais qui vous met aussi au diapason de ce que j’ai vu), j’ai circulé dans une atmosphère de recueillement parmi des familles, avec des enfants parfois laissés à eux-mêmes, qui se retrouvaient tétanisés et fascinés à la fois devant des images insoutenables. Souvent, quand même, les parents expliquaient les faits à leurs enfants. Etre au milieu de tous ces gens, qui avaient rangé leurs téléphones portables et ne prenaient aucune photo (ce qui, je le souligne encore ici, est tout à fait exceptionnel en Chine), portant pour la plupart ces chrysanthèmes blancs comme des offrandes aux morts, avait quelque chose d’iréel.

Pour mieux comprendre, il faut savoir qu’une des vocations du musée est l’instruction des Chinois sur cet épisode sanglant de l’Histoire, d’où la propension des parents à y venir en famille). Dans l’ambiance nationaliste actuelle, cela prend d’autant plus de relief.

Activité organisée par le musée (image prise sur le site dudit musée)

Tout cela a fait écho à un film que j’avais vu fin 2023, « City of life an death » d’un cinéaste chinois, Lu Chuan, sorti en 2009, très controversé dans le pays (les approbations chinoises se sont faites attendre et il a suscité après sa sortie bien des critiques, notamment pour avoir montré un Japonais sous un jour humain) mais très bien accueilli à l’international, un peu comme un uppercut, quand même. Le cinéaste a recruté des Japonais pour jouer les soldats, d’aucuns racontent que les acteurs pleuraient entre les prises de vue ; je peux le comprendre, devant le choc que m’a fait ce film, atroce d’un bout à l’autre, magnifiquement filmé dans un noir et blanc précis et sculptural, qui amplifie encore le malaise du spectateur. Un grand film, âmes sensibles s’abstenir, mais à recommander.

Après cette promenade bien rude, j’ai capté en sortant dans le soir qui tombait cette magnifique silhouette de femme portant un enfant et une colombe, comme un signe d’espoir pour le futur.

FB