De Rainer Werner Fassbinder, ce cinéaste allemand fulgurant, né dans les affres de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et décédé à l’âge de 37 ans, laissant derrière lui une oeuvre foisonnante, empreinte de l’angoisse devant les difficultés de la reconstruction de son pays, je n’avais vu que quelques films, il y a longtemps (notamment le magnifique « Lili Marleen », 1981).
Dire que ce film n’est pas dur serait un peu exagéré, plutôt un conte de fée au pays du réalisme désespéré, c’est sûrement comme cela que je le qualifierai.
Emmi, veuve d’un certain âge, fait la connaissance dans un bar où elle se hasarde poussée par la pluie, d’un Marocain bien plus jeune, Ali. Ces deux être paisibles et seuls vont s’accrocher l’un à l’autre dans une histoire d’amour improbable pour la société qui les entoure et qui ne va cesser de les vilipender (voisins et famille en premier lieu). Leur relation durera t-elle ? C’est toute l’histoire du film.
Car ce que le cinéaste met ici en exergue, pour le dénoncer, c’est le regard des autres. De tous les autres, qui peuvent d’un moment à l’autre devenir un ennemi parce que vous avez transgressé leur vision du monde. Le cinéaste focalise sur les regards des uns et des autres, commerçants, voisins, serveurs, qui font comme un mur d’yeux muets et implacables, en écrin au couple naissant ; il décentre son point de vue du couple vers ceux qui les entourent, pour montrer le point de vue des gens, c’est ce qui l’intéresse ici surtout. Les injures, dures et définitives, fusent, « porc », « pute »… « Ces gens-là » parés de tous les vices viennent déranger l’ordre de la société (qui les a pourtant appelé à des fins de main d’oeuvre). Toute cette violence et l’exclusion qu’elle engendre font froid dans le dos, nous sommes à peine trente ans après la Shoah et cette perte de mémoire interroge.
Au milieu de cette marée de haine (à laquelle échappent quelques personnages, comme la serveuse du bar, le fils du propriétaire ou la femme du commerçant), le réalisateur campe une idylle forte et simple, de l’ordre du rêve, où les deux protagonistes ont entrevu une vie meilleure à deux. Ce sont de bonnes personnes, sans caricature, ils ont des manières, sont droits et entiers et créent ainsi une opposition au monde qui les entoure.
Le film est très léché sur le plan cinématographique, faisant comme une suite de tableaux où toutes les couleurs sont étudiées, l’irruption des rouge, jaune, et autres couleurs faisant comme un rythme à cette histoire improbable.
C’est un magnifique film que je ne peux que recommander.
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