Voilà un film bigrement intéressant, en lui-même bien sûr, mais également sur ce qu’il dit à propos de l’art cinématographique.
L’argument s’inspire d’un livre d’un livre de David Grann paru en 2010, biographie romancée de Percy Fawcett (1867-1925), militaire de formation, qui, après plusieurs voyages (en Afrique du Nord, à Ceylan, à Malte) s’oriente vers le métier de cartographe. En 1906 la Société nationale de géographie anglaise fait appel à lui pour cartographier les frontières entre la Bolivie et le Brésil, qui se disputent la richesse que représente l’exploitation du caoutchouc dans la forêt amazonienne. Il se rend alors dans cette contrée inexplorée et inconnue, en compagnie de deux compagnons, Henri Costin et Arthur Manley, laissant sa femme enceinte et son premier fils, Jack. De ce voyage naîtra une obsession pour ce pays, et surtout pour une cité fabuleuse, qu’il nomme « Z », qui pourrait révéler au monde entier la splendeur d’une civilisation autochtone disparue…
Encore un explorateur anglais ! Décidément ce pays a généré nombre d’hommes (et de femmes) libres et intrépides, prêts à prendre la mer, à tracer les routes pour partir découvrir le monde. Citons par exemple James Cook au XVIIIe siècle, qui a exploré la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les territoires avoisinants ; Francis Drake qui au XVIe siècle a entrepris un voyage autour du monde pendant trois ans (c’était également un pirate !) ; William Baffin, qui au XVIIe siècle a découvert la mer qui porte son nom ; Martin Frobisher qui explore au XVIe siècle l’Océan Arctique (!) ; David Livingstone, qui parcourt le fleuve Zambèze (1) ; Ernest Shackleton qui parcourt l’Antarctique au début du XXe siècle (2) ; Isabella Bird qui voyage au XIXe siècle en Asie et Afrique jusqu’à 65 ans passés ; Mary Kingsley qui parcourt l’Afrique à la fin du XIXe siècle… Ici ces hommes sont de la même trempe, sans peur, pétris d’honneur et prêts à tout, même à laisser derrière eux patrie et famille pour partir à l’aventure.
Les acteurs choisis par le cinéaste ici sont au diapason de la grande destinée qu’ils embrassent. Charlie Hunnam (que j’avais vu dans « Pacific rim » blockbuster futuriste sympathique de Guillermo Del Toro en 2013) est excellent, tout en inflexibilité britannique, mélange de flegme et de force contenue. A ses côtés, Robert Pattinson, le héros de la série de films « Twilight », adulé des adolescentes à l’époque, et vu depuis chez David Cronenberg, est ici moins marquant que le héros, mais tient bien son rôle. Enfin, notons la très bonne prestation de la belle Sienna Miller, en épouse qui attend son homme. Le fait d’avoir choisi des acteurs qui sont loin d’être des têtes d’affiche qu’aurait pu réclamer ce film le rend d’autant plus authentique et prenant.
James Gray est un cinéaste tout à fait à part, qui filme peu, des oeuvres très réfléchies à l’ampleur magnifique. J’avais adoré « Little Odessa » (1994), « The yards » (2000) et « Two lovers » (2008) ; je n’ai pas vu les autres pour le moment mais cela ne saurait tarder ! Et c’est ici que je voudrais introduire une réflexion sur l’art du cinéma.
Cette histoire, qui nous parle d’explorateurs partis à l’autre bout du monde à la recherche d’une cité perdue, et qui s’accrochent à ce rêve comme à une chose essentielle aurait pu prendre une toute autre forme cinématographique que celle que nous voyons ici. Pensons à deux « sagas », celles qui mettent en scène Indiana Jones et Benjamin Gates ; action dynamique, humour pour mieux rythmer le tout (ne vous méprenez pas, j’adore) et peu d’introspection, avouons-le. Projetons-nous également dans ce qu’aurait pu être cette oeuvre formatée en blockbuster, toute en effets spéciaux, ce serait un film très différent.
Car ici, nous retrouvons le James Gray que nous avions apprécié auparavant, centré sur l’humain, les relations entre les membres de l’expédition, la délicatesse des sentiments entre le héros et sa famille, son intransigeance face à la couardise qui met en risque les autres (3) ; humanisé à ce point, non exempt de critiques sur son comportement, faillible et inflexible à la fois, le héros nous laisse voir toute la grandeur du destin qu’il s’est fixé. Nous sommes dans la veine des grands mélos (au sens positif du terme) issus de Douglas Sirk et illustrés récemment par des cinéastes comme Todd Haynes. Des oeuvres au long cours, qui prennent le temps de se dérouler devant le spectateur en méandres somptueux.
C’est donc un film que je ne peux que recommander si vous aimez le genre.
FB
(1) Retrouvé après des années passées en Afrique, alors qu’on le pensait disparu, par le journaliste Henry Morton Stanley en 1871 dans un village au fin fond de la brousse ; nous devons à cette anecdote la célèbre phrase de Stanley « Doctor Livinstone, I presume ? ». Seulement pour les plus cultivés d’entre vous ! 😉
(2) http://dai.ly/x20iw1b
(3) Notons que nous évitons également les plans normalement incontournables quand un héros est dans la jungle : celui de l’araignée, celui du serpent, celui des piranhas… Si nous allons rencontrer quelques unes de ces bestioles, ce sera tellement intégré à l’histoire que nous n’aurons pas l’impression de passages obligés.
Cela vient-il des acteurs, assez peu charismatiques. Ou du récit qui se traîne sur des années ? Je n’ai pas été vraiment convaincu par ce film. Pour la première fois, James Grey me déçoit un peu. Dans une veine similaire, je préfère revoir : Aux sources du Nil de Bob Rafelson. 😉