Pékin – Musée du cloisonné (2023)

Dimanche, dans ce temps si clair et beau qui est l’apanage de la capitale chinoise au printemps, j’ai décidé de faire un long trajet à vélo (que mes compatriotes professionnels de la petite reine, qui avalent les distances sur leurs bolides ne se moquent pas !), soit 9 kilomètres aller simple, pour aller voir un musée au sud du Temple du Ciel, qui expose des oeuvres de cloisonné.

De quoi s’agit-il ?- allez-vous me dire, et vous aurez raison. C’est une technique d’émaillage très ancienne (elle date du XIVe siècle en Chine mais remonte à l’Egypte, au IIe millénaire avant notre ère) qui consiste à appliquer sur des supports en métal, vases ou autres, de fines pièces de métal que l’on aura auparavant tordues pour qu’elles fassent des motifs.

Les outils de la première phase, au milieu à gauche les lamelles métalliques

Ces petites pièces de métal sont ensuite collées sur le support en métal, jusqu’à représenter l’ensemble du dessin, des oiseaux, des personnages, etc.

Quand cette étape est terminée, il faut passer au remplissage des parts closes (d’où l’appellation de « cloisonné », notons que cette technique n’est pas très éloignée de celle du vitrail, seuls les supports et les matières changent). Armé d’une pipette, le technicien (j’emploie à escient le mot, car c’est véritablement très technique) va répandre un émail coloré dans les alvéoles, changeant de couleur quand il veut créer des contrastes.

Pipettes et récipients à émail

L’objet est ensuite cuit à haute température, on ajoute de l’émail et on recuit, ce processus pouvant se reproduire plusieurs fois.

Quand cette phase est terminée, il faut polir l’objet, souvent manuellement, même si les avancées techniques ont permis de mécaniser le polissage de certaines pièces. On utilise du charbon ou d’autres substances abrasives.

Les outils du polisseur

Pour aller plus loin dans le registre culturel, sachez qu’il existe une autre technique d’émaillage, dite du « champlevé », celle utilisée par exemple dans les émaux de Limoges, qui consiste à directement graver les motifs sur le support métallique. Et voilà, vous êtes tout de suite plus savants (comme moi d’ailleurs) !

N’entrons pas plus loin dans la bataille pour savoir laquelle de ces deux techniques donne les résultats les meilleurs, ce que j’ai vu ici était d’un grand raffinement.

Pour vous donner une idée, détail d’oiseaux et de chrysanthèmes

Ce sont donc des arts de la patience, du temps et un savoir-faire bien expérimenté est nécessaire pour créer ces pièces.

J’avoue avoir été un peu réservée avant, ayant vu des échoppes proposer des pièces assez communes et peu intéressantes. Jusqu’à ce que je franchisse les portes de ce musée (qui est également un lieu où vous pouvez acquérir ces objets, assez chers, certes, mais le jeu en vaut la chandelle). Il est consacré à cette technique, le 景泰蓝 Jingtailan, le dernier mot signifiant « bleu » car la majorité des pièces sont sur fond bleu.

Dès l’entrée, je suis impressionnée par la taille de certains objets. Notez que ceux qui sont exposés ont été fabriqués entre les années 1950 et aujourd’hui.

Vase plus haut que moi, bien ouvragé

J’en verrai d’autres, dans des dimensions qui défient l’imagination, quand nous pensons au temps qu’il faut pour les produire.

Une horloge en forme de calebasse, porte-bonheur en Chine, 2 mètres de haut à première vue
Un bateau ouvragé qui fait bien un mètre de long, notez les voiles
Ou ce fauteuil aux accoudoirs ouvragés

A part ces géants, qui feraient presque peur, j’ai pu voir des objets à taille plus humaine, tout aussi ouvragés que les précédents. Je vous montre les plus beaux.

Des boîtes, d’abord.

Boîte en bleu, blanc et or
Pêches et fleurs sur ce fameux fond bleu

Des assiettes (décoratives, je ne suis pas sûre qu’il faille les utiliser pour un repas…).

Cerfs et biches dans un paradis lointain
Plus stylisé et actuel, des colombes sur fond noir
Deux poissons en bataille

Des vases, bien représentés ici.

Avec comme un air d’Art Déco
Et un autre plus classique (classique d’ici, j’entends)
Une improbable pastèque immortalisée dans le métal
Avec un détail de colombes sur fond de Grande Muraille

Les variations sont infinies, à côté des formes les plus représentées dont je viens de vous donner un aperçu, il est possible d’orner à peu près tout.

De bien jolies femmes sinueuses à souhait
Et l’un de mes préférés, poisson stylisé en nuances chaudes

Et puis ce chef d’oeuvre, la reconstitution grandeur nature de l’attelage retrouvé parmi les guerriers en terre cuite de Xian.

Impressionnant

Comme dans (presque) tous les musées d’ici, n’oublions pas une mention particulière pour la célébration des grands hommes. D’autant plus que les cartons explicatifs vous informent que la survie de cet art est due à une initiative du Parti.

Celui d’hier
Et celui d’aujourd’hui, accompagné par les 56 ethnies du pays en un oecuménisme qui fait chaud au coeur

Je terminerai, pour montrer comment l’art est vivant ici et sait capter les dernières tendances sociétales et politiques, par cette urne improbable, qui nous rappelle les durs moments des années récentes.

Brigade de soignants
Tous unis contre la pandémie !
Construction des centres de quarantaine, sur fond de tests PCR

J’ai une pensée pour tous ces artisans, obligés de se détourner de leurs motifs de fleurs et d’oiseaux, pour patiemment construire la trame de cette oeuvre tellement décalée…

Terminons en vous disant, comme déjà indiqué, que le lieu présente deux étages où sont exposées des pièces ouvertes à la vente, assez chère dans l’absolu, mais finalement raisonnables au vu du travail qu’elles ont nécessité (pour ma part j’ai craqué et en ai acheté deux).

Je suis ressortie de cette visite convaincue par la beauté de cet art.

FB