De ce cinéaste japonais, j’avais vu déjà plusieurs films, « Tel père, tel fils » (2013), Prix du Jury à Cannes, « Après la tempête » (2017) et « Une affaire de famille » (2019). Peut-être puis-je hasarder une interprétation sur le trait d’union qui relie ces trois oeuvres, elles ont toutes trait à la famille et aux soubresauts sentimentaux qui en parcourent les membres. Avec comme motif central cette interrogation essentielle sur la famille choisie versus la famille subie. Si cette idée est particulièrement flagrante dans « Tel père, tel fils », dont le scénario repose sur l’échange de deux enfants par erreur à la naissance, avec les interrogations qui vont s’ensuivre sur la filiation par le sang versus la filiation par l’éducation, comme dans « Une affaire de famille », où nous voyons une petite fille « adoptée » par une famille d’emprunt, elle parcourt aussi « Après la tempête », où un père démissionnaire et désabusé va reprendre sa place. Et elle est aussi très présente ici mais se perçoit mieux pour ceux qui auront vu les autres opus (ou qui auront lu ma critique 😉 ).
Fabienne (Catherine Deneuve) est une actrice âgée célèbre, qui continue à aller son chemin dans son métier. Tyrannique, capricieuse et fantasque, elle passe son temps à dévaloriser les autres (surtout les actrices), elle est comme un soleil plein d’énergie autour duquel gravitent encore quelques fidèles, dont certains la quittent, devant son incapacité à s’intéresser à autre chose qu’elle-même. Le film commence au moment de la parution de son autobiographie, ce qui donne l’occasion à sa fille Lumir (Juliette Binoche) scénariste qui vit à New-York de venir lui rendre visite avec son mari Hank (Ethan Hawke) et sa fille Charlotte.
Il est étonnant de voir ce cinéaste japonais s’éloigner si loin de sa base pour faire un film en France. Et un film si français, qui ressemblerait à un opus de Claude Sautet par exemple, s’il n’y avait ces longs plans pensifs sur la nature environnante (la maison au coeur de Paris est magnifique, entourée d’un jardin improbable au centre de la capitale), qui me rappellent tellement les films du Pays du soleil levant. Quelqu’un m’a dit que Juliette Binoche l’avait rencontré lors de l’un de ses passages à Paris et avait insisté pour tourner dans l’un de ses films. Si c’est vrai, c’est une belle histoire qui nous donne un film bien réussi.
Histoire de femmes, les hommes restant à l’arrière-plan, cuisiniers, hommes à tout faire, baby-sitters ou chauffeurs, il nous immerge dans cette relation mère/fille, simple au premier abord (une mère peu maternelle à qui sa fille adulte ne cesse de demander des gages en forme de souvenirs communs) et qui devient complexe au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Car la fiction écrite par cette actrice, pour faire plaisir au public, en forme de livre autocentré qui efface les proches et leur fait beaucoup de mal, va céder la place à quelque chose de plus authentique, comme si cette femme était multiple, le personnage sensible enfoui derrière cette envie de réussite à tout prix. « Je suis une actrice, je ne vais quand même pas raconter la vérité toute nue », dit-elle à sa fille ; c’est cela que questionne le réalisateur, existe t-il une vérité dans les liens affectifs ? Ou chacun se fait-il son interprétation des gestes des autres ou de ce qu’ils n’ont pas fait ?
Là encore, fidèle à son chemin de cinéma, le réalisateur fait surgir des images de mère de substitution à cette apparente mauvaise mère ; une actrice, Sarah, décédée accidentellement et qui a beaucoup épaulé Lumir (j’ai pensé à Françoise Dorléac, la soeur de Catherine Deneuve, disparue prématurément, ce qui montre à quel point ce que je voyais avait l’air naturel). Mais aussi ces scènes incroyables sur le film que tourne Fabienne avec Manon, une actrice qui joue sa mère et qui ne vieillit pas ; ces passages, magiques, je dois le dire, donnent vie à toute une théorie de mères et de filles de tous âges, qui enveloppent Fabienne et Lumir comme pour renforcer de manière exponentielle la fragilité et la solidité à la fois de ces relations mère/fille ; une mise en abyme fascinante.
Les deux actrices principales sont formidables, excellentes (je ne sais plus quel superlatif employer), n’hésitant pas à mettre en danger leur image (Catherine Deneuve surtout).
J’ai beaucoup aimé cette oeuvre, qui clôt mon année cinématographique 2019 avec bonheur.
FB