Cinémas – Spike LEE : BlacKkKlansman (2018)

BlacKkKlansman

Vraiment, le film de la rentrée ! Grand Prix du Festival de Cannes bien mérité, d’après moi.

Inspiré par une histoire vraie, contée par celui qui va être le protagoniste principal du film, Ron Stallworth, dans un livre sorti en 2014, il nous montre un épisode particulièrement étonnant (et presque cocasse) dans l’histoire de la conquête de l’égalité par les « Noirs » (1).

Dans les années 1970, Ron Stallworth (John David Washington) est le premier Noir à s’engager dans la police de Colorado Springs (Etat du Colorado, qui, rappelons-le, était neutre pendant la Guerre de Sécession, mais plutôt en faveur des Unionistes, abolitionnistes) et après avoir fait ses premières armes, il conçoit le projet assez fou d’intégrer la faction locale du Ku Klux Klan (2), avec l’aide d’un acolyte policier, Flip Zimmerman (Adam Driver). Nous allons assister à leurs aventures ici.

Ce qui frappe tout de suite ici, c’est la perfection technique et la beauté formelle. Nous sommes face à un metteur en scène chevronné, qui sait utiliser les moyens cinématographiques pour donner de l’ampleur à son récit. Et c’est bluffant. Ajoutons à cela le sens de la narration (qui sait s’éparpiller juste ce qu’il faut pour aérer la trame) et vous ne verrez pas passer les deux heures de film. La citation de Victor Hugo « La forme c’est le fond qui remonte à la surface », est ici mise en pratique de belle manière. Cela donne des scènes accomplies, comme celle où les étudiants dansent, costumes, musique, beauté des acteurs et de la mise en scène, tout est ici au diapason.

Au travers de ce film, Spike Lee sème nombre de références à la culture afro-américaine de l’époque, musique (Looking Glass, The Hedwin Hawkins Singers, Cornelius Brothers & Sister Rose, James Brown…) et cinéma (Pam Grier, Ron O’Neal, Richard Roundtree, le film « Shaft ») ; il fait d’ailleurs appel à Harry Belafonte comme acteur dans une des scènes finales. Mais il aborde également la culture de l’autre partie, celles des Blancs chrétiens et racistes, membres du KKK, comme pour montrer l’étanchéité des références des uns et des autres en la matière ; il cite notamment le film de D. W. Griffith « Naissance d’une nation » (1915) qui raconte d’un point de vue sudiste la Guerre de Sécession, cinquante ans après et qui a revitalisé le KKK jusqu’à devenir un film culte pour l’organisation. Filiation étonnante que je ne connaissais pas.

Au-delà de la forme, que je viens de décrire, c’est un film engagé, qui dénonce le racisme et l’extrémisme, quelle que soit leur forme. La scène où, dans deux espaces distincts, les Noirs scandent « Black power » avec en écho les Blancs qui scandent à leur tour « White power », en une acmé du film, est à ce point de vue révélatrice. Même si le motif principal est le racisme anti-Noirs (et anti-tout-ce-qui-n’est-pas-Chrétien-et-Blanc), le cinéaste veut rétablir l’équilibre, en montrant que les excès peuvent avoir lieu de part et d’autre et qu’ils contribuent, en une résonance presque morbide, à dresser des groupes les uns contre les autres. A cet égard, une réflexion de Flip est révélatrice ; Juif non pratiquant, renvoyé à cette identité par le KKK, il finit par y penser tout le temps, nous dit-il. Même équilibre quand le chef de la police, qui couvre Ron Stallworth et ce qu’il fait, dénonce cependant les Black Panthers dans leurs actions.

Bien sûr ce ne sont que des nuances, reste que la balance penche plutôt du côté des Noirs persécutés par les Blancs, mais le propos n’en prend ici que plus de relief.

Le metteur en scène cherche, au travers de ce « fait divers », dans lequel il sait instiller une bonne dose d’humour, à faire le lien avec notre actualité. Que le mot d’ordre des adhérents du KKK ici soit le même que le slogan de campagne de Donald Trump, « America first », fait froid dans le dos. De même, la dé-diabolisation du KKK par le leader David Duke rappelle étrangement pour nous celle du Front National récemment… Echos malsains assez perturbants. Pour mieux mettre en lien ce passé et notre présent, Spike Lee clôt son oeuvre sur la tragédie de Charlottesville, en 2017, où à l’occasion du retrait d’une statue de Robert Lee, général confédéré, des affrontements entre pro et anti ont abouti au décès d’une jeune femme, en une flambée de haine exacerbée et flamboyante.

Car nous voyons autour de nous des leaders incultes et populistes se dresser, fort du vote de leurs citoyens, et avoir des propos ou des actes non réfléchis et bêtes, dans un but démagogique et électoraliste. Leurs déclarations racistes et insupportables finissent par légitimer l’impensable ; le non dit devient du « dit » et il devient possible, dans leur sillage de violenter toutes les différences.

C’est sûrement une des raisons, au-delà de l’excellence intrinsèque du film, qui a conduit le Jury de Cannes à lui accorder une si belle récompense.

Merci au Jury.

FB

(1) Oui je sais, il ne faut plus prononcer ce mot ; mais arrêtons un peu le « politiquement correct », les mots ne sont pas dégradants en eux-mêmes, ils le deviennent parce que les objets ou êtres qu’ils recouvrent sont eux-mêmes « dégradés » dans l’opinion publique. Si la situation de l’intégration des « Noirs » aux U.S.A. ne change pas, je vous parie que d’ici quelques années, « Afro-Américain » sera un mot banni et remplacé par un autre, par un rattrapage mécanique de la réalité sur la sémantique, de même que « Nègre » avait cédé la place à « Noir ». Donc je continuerai à employer ce mot, qui ne désigne après tout qu’une couleur, de manière neutre.
(2) le Ku Klux Klan est une organisation fondée en 1865, issue de l’échec des Etats du Sud à la fin de la Guerre de Sécession, qui prône la supériorité de la race « blanche » (entendez blanche et chrétienne) sur les autres. Formé de groupuscules, il compte aujourd’hui entre 5000 et 8000 membres. Le nom vient du mot grec « kuklos » qui signifie « cercle » et intègre le mot latin « lux », « lumière », pour former « Ku – Klux », ce à quoi nous ajoutons un « K » à « Clan » pour être en harmonie. Cette organisation protéiforme, qui repose sur les instincts racistes à l’égard de tous ceux qui sont différents (Juifs, Noirs et autres) a commis nombre de crimes racistes.