Arts plastiques – Hélène DELPRAT : Did it my way (2017)

La Maison Rouge, à Paris, est un endroit d’exposition d’art contemporain que je fréquente peu, mais qui m’a offert de belles rencontres avec des artistes que je ne connais peu ou plutôt pas.

Ce week-end, j’ai décidé d’y faire un tour, appâtée par les critiques sur l’exposition « Inextricabilia« , que finalement je n’ai pas vue (levons le suspense tout de suite !). Car j’ai commencé par une découverte frontale avec Hélène Delprat et son oeuvre.

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Née en 1957 à Amiens, cette artiste/plasticienne française est passée vers 1995 de la peinture au mélange des médias, vidéo, peinture, sculpture, installations.

Je ne sais pas comment vous fonctionnez, mais pour ma part, j’ai besoin de saisir la cohérence de ce qui m’est proposé quand je vois une exposition d’un artiste ; car ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’accumulation d’oeuvres isolées (les musées sont là pour cela) mais le sens général, comme un fil d’Ariane qui jalonnerait ce qui nous est présenté, ce que les médias appellent désormais « le propos », bref, ce que l’artiste veut nous dire. J’ajouterai que puisque nous avons décidé (…) que l’art contemporain devait déconstruire l’esthétique, nous devons attendre autre chose de lui et pas seulement de la belle facture ou de belles couleurs, qu’il assume son parti pris ! Et c’est ici que certains artistes, comme George Mathieu (1921-2012), artiste presque « officiel » sous George Pompidou, trouvent leurs limites, en essayant de faire de l’art abstrait dans un but de créer de l’harmonie pure.

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J’oserai un parallèle en littérature en évoquant le mouvement poétique dit « Le Parnasse », qui dans la deuxième moitié du XIXe siècle, cherche à produire une poésie totalement belle, sacrifiant le fond à la forme (pour mémoire, Théophile Gauthier (1811-1872) en faisait partie, et vous comprendrez ce que je veux dire en lisant le superbe « Roman de la momie » (1858), un peu superficiel sur le fond, mais c’est le but).

Ici, après une immersion un peu flottante à tenter de prendre mes repères dans cet univers si nouveau, j’ai adhéré rapidement, presque par osmose empathique, de l’ordre du non-dit à ce que je voyais. Et pourtant l’oeuvre n’est pas si facile que cela à appréhender quand vous entrez dans le lieu d’exposition, elle lutte contre vous, ne se livre que peu à peu, mais quand la résistance cède, vous êtes capté. Je dois rendre hommage pour une fois à la qualité du livret qui vous est remis à l’entrée, finalement assez clair, ce qui est loin d’être toujours le cas dans ce type d’exposition, où la tentation est forte parfois de dissimuler le vide de la pensée de l’artiste sous des mots ronflants et finalement sans sens particulier.

Bon, après cet incipit un peu acide, j’en conviens (mais vous me connaissez 😉 ), revenons à cette artiste qui nous occupe. Il se dégage peu à peu une authenticité dans ce que nous voyons, que je vais essayer d’expliquer.

C’est un univers presque cohérent bien que composite, où les oeuvres se répondent les unes aux autres, qui nous est montré ici. Des restes d’enfance assumés, en forme de petites silhouettes qui parsèment les toiles, d’imposant portique ouvragé en polystyrène qui aurait sa place dans n’importe quel conte de fées, de petits films un peu ridicules où l’artiste apparaît déguisée (en Louis XIV par exemple dans « Comment j’ai inventé Versailles », 2002)… Tout un univers enfantin aux relents magiques, qui évoque pêle-mêle Cocteau et Walt Disney, et laisse voir toute sa naïveté mais également sa violence (« Grrrrrrrrrr », 2017, fait de têtes de quasi Mickeys, comme un papier peint de chambre d’enfants, au bémol près de leurs dents acérées). Car il s’agit bien ici de montrer les deux visages de l’enfance, faite d’archétypes de princesses en costumes roses prêtes à transformer la moindre chose en idéal et également d’une violence non endiguée, souterraine qui nous ronge, comme une pré-science de notre mortalité, et nous accompagne tout au long de la vie, semble nous dire l’artiste.

Et c’est bien cela dont il question ici : nous sommes une oscillation entre plusieurs extrêmes, la douceur et la violence, la beauté et la laideur, la vie et la mort, l’humour et le désespoir, l’élévation et la trivialité, tout ce qui fait la richesse de la vie en somme. Toutes ces dimensions, Hélène Delprat les scrute et les juxtapose devant nous, dans ces oeuvres qui finissent par se compléter dans leurs différences. C’est une véritable artiste que nous voyons en action ici, qui, à partir de son vécu intérieur, contemple le monde pour nous en donner le sens qu’elle y voit ; convoquant tour à tour (ou ensemble) le petit enfant qui s’émerveille de tout, l’adulte qui se sent responsable et commence à craindre la mort.

Cohabitent dans ses immenses toiles oniriques des  guerriers issus de la Grèce antiques affrontés à des Kalachnikovs, de petits monstres qui voisinent avec des fleurs pures et innocentes…

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Pour donner une idée de ses peintures…

Car au milieu de toute cet univers presque enfantin, la mort pointe à chaque détour sa silhouette lugubre ; équilibre des contraires, porté par les noms plein d’humour qui qualifient les oeuvres : « Les fausses conférences », « Peinture pourrie », « Le chant du guerrier couvert de cendres », « Vers le mausolée aux cheveux », Ce que le chevalier couvert de cendres a raconté à son retour » et celui que je préfère « Si on y réfléchit bien, dire « peinture gestuelle » c’est assez bête »… L’humour comme contrepoint du désespoir ontologique qui nous étreint.

Pour nous conter cela, l’artiste dispose d’une vaste culture qu’elle met au service de son talent ; à côté des « classiques » (dénommons les ainsi, bien que ce soit un peu réducteur, je vous l’accorde), tels que Marivaux, Homère, Odilon Redon, Gainsborough, la musique du XVIIe siècle ou la « Nouvelle vague » cinématographique française, les tendances les plus modernes de l’art viennent prendre leur place, multipliant également les dimensions, en une riche diffraction. L’art brut, la vidéo, l’hyper-réalisme, le dessin en forme de graffitis, les images télévisées sont ainsi convoqués pour se mêler à toutes ces références classiques et donner vie à sa pensée.

C’est vraiment quelqu’un d’intéressant à suivre. Et je vous recommande son blog, fascinant et qui dit tant d’elle et de son oeuvre.

FB

L’adresse de son blog : https://delprat.wordpress.com/

Un entretien avec elle sur l’exposition :