Arles est une ville ravissante d’un peu plus de 50 000 habitants, nichée au creux du Rhône, dans le Sud-Est de la France. Elle garde en forme de traces historiques nombre de vestiges romains (thermes, amphithéâtre,…), d’églises médiévales ou postérieures et d’hôtels particuliers du XVIe au XVIIIe siècles, qui jalonnent ces petites rues, réseau sinueux et fleuri où il fait bon errer. Ajoutons à cela, avantage non négligeable, que l’implantation des commerces tout-venant, qui anonymisent chaque jour davantage nos villes (type H & M, Mac Donalds et autres Starbuck) semblent avoir été contenus dans leur volonté de conquête hégémonique, ce qui permet d’autant mieux d’admirer ces rues paisibles, comme hors du temps. Tout est beau ici, des volubilis qui enroulent leurs grappes violettes autour d’un seuil, du rayon de soleil qui fait étinceler les façades dans leur blancheur, jusqu’aux pierres irrégulières qui pavent les chemins ; il fait bon s’y perdre, bourgade à taille humaine, pleine de joliesse et de vie où le promeneur découvre à chaque détour de son parcours des beautés architecturales insoupçonnées. Ajoutons à cela que les habitants sont cordiaux et enjoués et je pense que vous serez conquis.
La ville en elle-même vaut le détour par son patrimoine architectural magnifique ; la Cathédrale Saint-Trophime et son cloître sont superbes (1), de même que le cimetière des Alyscamps, qui remonte à l’époque romaine, et bien d’autres monuments qui ponctuent le paysage urbain.

Saint-Trophime, façade
Une des meilleures manières d’entrer en contact avec Arles et toutes les beautés que je viens d’esquisser, c’est de retrouver la ville au travers de son festival annuel de photographie, entre début juillet et fin septembre, où vous pouvez déambuler dans les lieux que je viens de citer tout en visitant plus d’une trentaine d’expositions consacrées à de jeunes espoirs ou à des vétérans de cet art. Et j’avoue que cette promenade est magique… Il y a déjà la confrontation de ces espaces anciens, faits de pierre blanche, où s’exposent ces objets modernes, toutes ces images contemporaines qui viennent faire hiatus apparent à ces lieux qui ont vu passer tant de choses. Cela peut créer des choses magnifiques, presque vertigineuses.
Je dois dire, de plus, que l’édition 2017, pour ce que j’en ai vu, était très excitante. Je voudrai ici faire honneur à quelques artistes qui m’ont particulièrement intéressée.
Marie BOVO – Eglise des Trinitaires
Cette photographe, née à Alicante, vit actuellement à Marseille. Dans cette église presque déserte et pourtant encore empreinte d’une forme de sacré, s’alignent des images qu’elle a capturées lors d’un voyage au long cours à bord de trains russes, dans un processus systématique consistant à prendre une photo depuis le train à chaque arrêt, avant que celui-ci ne redémarre. Je ne sais ce qui fonctionne le mieux ici, la magnificence dépouillée du lieu, vide et créant comme un refuge à l’abri de la franche lumière des rues ou l’effet envoûtant de la répétition, qui nous montre des paysages de neige humbles et bien loin du spectaculaire… La combinaison des deux sans doute, vraiment intéressante.
Iran, année 38 – Eglise Sainte-Anne
Ce sont 66 photographes qui sont conviés ici à nous raconter l’histoire de leur pays depuis 1979 en forme d’images fragmentées (d’où le titre, 38 ans depuis la Révolution). Une exposition de ce type ne peut a priori qu’être inégale parce que sans cohérence entre les visions des uns et des autres, mais le parti-pris se révèle ici de haute tenue. Imagination, créativité, voilà ce que nous voyons dans la manière qu’ont ces artistes de nous présenter leur pays… Rébellion aussi,comme des personnes essayant d’élargir le cadre voire d’en sortir, avec quand même un attachement viscéral à ce pays politiquement chahuté depuis des décennies. Traces de guerre, statut de la femme, problèmes d’environnement (dont je n’avais personnellement pas conscience mais qui semblent majeurs), difficulté à juxtaposer une civilisation moderne à un pays essentiellement agricole, voilà ce que nous disent ces images, avec une belle vitalité.
Michael Wolf – Eglise des Frères Prêcheurs
Michael Wolf est un photographe allemand qui partage désormais sa vie entre Hong-Kong et Paris. Dans cette église désaffectée pour le culte catholique mais qui a gardé toute sa dimension mystique, se déploient d’immenses photographies d’immeubles cadrés en plan serré, de manière à faire surgir à la fois l’inhumanité de leur immensité et l’humanité qui les habite. Car c’est un photographe qui explore la place de l’humain dans des villes a priori déshumanisées. Témoin extérieur, il cherche à faire surgir les légères traces que l’Homme laisse dans ces univers de béton et d’acier (qu’ils ont construits, et c’est là où réside le paradoxe dans lequel l’artiste s’engouffre), comme du linge qui pend aux fenêtres de ces immenses buildings ou ces traces minimales que l’homme laisse dans ce monde construit pour lui et dont il finit par être exclu, comme des sièges posés dans les contre-allées de la mégapole de Hong-Kong, des balais, des gants de ménage qui font irruption dans une architecture qui dépasse l’homme, comme pour rappeler la vanité de tout cela.

Hong-Kong

Hong-Kong

Hong-Kong

Hong-Kong
Et pour mieux montrer l’absurdité de ces mégapoles qui enserrent les hommes jusqu’à les étouffer, le photographe nous dévoile ici une série de clichés pris à la volée, où nous voyons des gens presque écrasés contre les parois du métro, dans une buée qui dit à elle seule l’insupportable pression de la vie citadine.
C’est une réflexion sur la place de l’Humain dans l’univers citadin qu’il a construit et qui finit par le dépasser qui nous est livrée ici. Comme si les villes avaient pris le pouvoir pour assujettir leur démiurge, finalement. Et c’est passionnant…
Citons pour finir une très belle série sur les toits de Paris (mais non, aucun chauvinisme ici 😉 !) qui fait ressortir la structure même de cette architecture débridée. Là encore, le goût du photographe pour les volumes et les structures, si abondants dans nos paysages urbains, est plus que perceptible.

Toits de Paris
Vraiment très intéressant et à suivre.
Et je finirai (car je ne vais pas écrire sur tout, vous en auriez pour des heures de lecture et je ne vous dit même pas le temps d’écriture pour moi 🙂 ) par le photographe qui m’a le plus touchée.
Masahisa Fukase – Palais de l’Archevêché
Né en 1934, ce photographe s’est imposé au Japon comme un des plus grands. Je me garderai bien ici de faire une analyse complète de son oeuvre, qui m’a l’air immense, je voudrais juste vous livrer mon ressenti par rapport à ce qui nous était montré ici. J’ai été particulièrement frappée par sa série « Karasu » (corbeaux), qu’il a réalisée au moment de son divorce d’avec sa deuxième femme, donc dans un moment difficile pour lui. Images absolument extraordinaires de ces humbles volatiles, ou comment transformer en beauté (un peu morbide et angoissante, certes) des oiseaux d’une grande banalité, voire porteurs d’une sourde menace.
Il a également photographié à maintes reprises son chat, jusqu’à lui donner une personnalité bien à lui, pleine d’une complicité palpable dans les clichés, cherchant également à faire ressortir une personnalité particulière, bien loin des clichés mièvres qui ciblent en général ce type d’animal de compagnie.
Nous reconnaissons bien ici l’empathie au monde qui est pour moi le propre des Japonais (et que nous ressentons tellement fortement dans leur littérature, chez Kawabata par exemple) et qui les amène à regarder la plus petite chose comme une merveille capable d’enchanter ce qui nous entoure. Corbeau, chat, personnes croisées dans la rue, corps de la femme aimée…
… Tout est prétexte à exploration presque magique, jusque dans les autoportraits qui se parent de travestissements comme pour se poser en témoin extérieur qui scruterait le monde avec tellement d’acuité mais ne pourrait se regarder lui-même sans filtre…
Ajoutons que ce photographe est décédé en 2012 après vingt ans de coma, ce qui ajoute sûrement à la dimension tragique que nous percevons dans cette oeuvre (même si ce fait est postérieur à ce que nous voyons). Et c’est vraiment de toute beauté.
Vraiment, je ne peux que recommander cette promenade de mi-été dans ce joli lieu, à découvrir. Stimulant et plein de belles choses à voir. Et en plus les autochtones sont vraiment sympathiques.
FB
(1) Evêque qui aurait rejoint Arles en 46 ap. J. C. ; une vie jusqu’ici encore marquée au coin du mystère…