La Cité des sciences et de l’industrie, nichée au bord du parc de La Villette, dans le nord de Paris, est une terra incognita pour bien des Parisiens (et autres), à l’exception de ceux nantis d’enfants. En effet, les gens qui fréquentent les musées, si l’on évoque le mot « musée », vont penser immédiatement au Louvre, au Musée d’Orsay, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, mais celui-ci sera passé sous silence, faisons-en le pari.
Et pourtant, et pourtant… Sûrement conscients de ce handicap, les musées qui frayent avec des disciplines ou des domaines qui ne vont pas de soi (Musée de l’Armée, Palais de la Découverte ou encore celui dont il est question) multiplient les innovations en matière de muséographie ; tout du moins, c’est ainsi que cela se passe en France, parce que j’ai eu l’occasion de pérégriner dans d’autres pays où les expositions classiques se parent de modernité -écrans, interactions avec les visiteurs- bien mieux que nos expositions de peinture, par exemple, en forme d’accrochages de tableaux avec cartons explicatifs et quelques vidéos qui traînent de çà de là… Bon, je sais, j’exagère, mais vous aurez saisi la teneur de mon propos.
L’exposition « Terra data » (que vous pouvez voir jusqu’en janvier 2018), se donne l’objectif pédagogique de nous expliquer ce que sont les données (au sens informatique du terme) et à quoi elles peuvent servir. Dans ce parcours autour de grands carrés aux différentes couleurs, qui nous amènent de la définition de la donnée à ce que nous pourrons en faire dans l’avenir, nous apprendrons, de manière ludique et très abordable, à appréhender ce qu’est un octet, un flop, comment les algorithmes parviennent à triturer, structurer et utiliser toutes ces masses d’information pour créer ce que nous pouvons appeler de l’intelligence artificielle. Avec, comme dans toutes les avancées scientifiques, les bons et les mauvais côtés…
Nous laissons de plus en plus de traces numériques de nous-mêmes ; il y a bien sûr celles qui sont volontaires (mais pour autant pas toujours assumées), quand nous postons des choses personnelles sur les réseaux sociaux, quand nous faisons des achats en ligne, quand nous consultons nos comptes sur internet (plus risqué, mais cela vous regarde), quand nous nous déclarons sur un site qui cherche à réguler la circulation (Waze par exemple), voire quand nous entrons nos données physiologiques sur un système « d’aide au sport ». Et puis il y a les autres, les « obligatoires », celles issues de nos pièces d’identité au sens large du terme (incluons les abonnements transport par exemple), photo, empreintes digitales… Toutes ces informations sont conservées (sauf si le protocole du site vous dit autre chose, mais comme vous ne pensez pas à le consulter (1)…) puis analysées et comparées à d’autres par des systèmes de calcul dont nous n’avons même pas idée. Et les résultats peuvent servir à de vraies bonnes choses : mesurer l’affluence dans des transports en commun pour mieux les adapter, développer de nouveaux services là où ils sont demandés par un nombre significatif de personnes, améliorer d’autres services à des endroits où ils sont en déficit. Mais ils permettent aussi aux sociétés commerciales de mieux cribler nos souhaits d’achat (vous êtes sûrement familier des pop ups qui vous proposent juste ce que vous cherchiez juste avant sur le net). Donc nous pouvons imaginer d’autres utilisations bien plus souterraines et que nous ne maîtrisons pas… Nous sommes virtuellement fichés et reconnaissables, dans notre définition (âge, lieu de résidence, nationalité, poids, taille), dans nos goûts et nos envies (ce que nous postons sur les réseaux sociaux, notre historique d’achat). Si dans l’exposition nous sont donnés quelques conseils pour mieux maîtriser nos données, il apparaît quand même que la tendance est inéluctable (ce qui ne nous empêche pas de faire un minimum attention) et qu’il faudra bientôt se pencher sur la manière d’inscrire des garde-fous dans tout ce brassage actuellement incontrôlé de ce qui nous est le plus intime.
Une vraiment intéressante exposition, à voir. Et en guise de pied de nez, pour exciter votre vigilance : à l’entrée, vous avez le choix entre un couloir où vous serez photographiés pour être morphologiquement reconnu (dans un des comptoirs de l’exposition) ou un autre où vous entrez incognito. J’espère juste que ceux qui prennent la deuxième allée, pour être en accord avec eux-mêmes, n’ont jamais posté de photo d’eux-mêmes sur un réseau social 😉 .
FB
(1) Réfléchissez au nombre de fois où sur un site internet vous avez cliqué sur le bouton « j’accepte », « I agree » sans savoir ce qu’il y avait derrière.