Arts plastiques : deux expositions au Grand Palais (2017)

Ce week-end, nantie d’un billet dit « jumelé », qui me permettait de voir deux exposition en même temps, je me suis rendue au Grand Palais, à Paris.

La première concernait Auguste Rodin, ce flamboyant sculpteur français, capable d’arracher à la pierre des silhouettes fiévreuses et dynamiques comme personne ne l’avait fait auparavant comme lui (la sculpture française recherche plutôt, de mon point de vue, la beauté plus que le mouvement jusqu’à l’époque moderne, il faut attendre des artistes comme Jean-Baptiste Carpeaux au XIXe siècle pour voir émerger une aspiration artistique à transcrire la dynamique avant l’esthétique). Le prétexte à l’exposition citée était la célébration du centenaire de la mort de l’artiste, en 1917 (1).

Quelle déception ! Bien sûr, il est toujours extrêmement plaisant de revoir ces oeuvres puissantes, courbes polies délicates se détachant sur le brut du matériau initial. Il est également intéressant dans l’absolu de croiser des oeuvres différentes, de George Baselitz, d’Annette Messager, de Jean-Paul Marcheschi, tous artistes que nous aimons bien. Mais deux écueils m’ont empêché de profiter pleinement de ce que je voyais. Tout d’abord l’absence d’explications pour guider le visiteur, notamment dans la confrontation organisée entre Rodin et les artistes plus contemporains présents ici (certes vous pouvez m’objecter que je n’ai pas pris l’audioguide, mais j’estime que si l’outil est nécessaire pour apprécier une exposition, il faut qu’il soit compris dans l’entrée). Ensuite, si l’on regarde de plus près les oeuvres exposées, elles viennent en quasi-totalité du Musée Rodin ; nous pouvons donc légitimement à quoi rime cette exposition, alors qu’une manifestation particulière pour célébrer cet anniversaire, dans le musée consacré à l’artiste, aurait eu nettement plus de sens. Certes, comme nous vivons dans une société attirée par les « happenings », nous pouvons penser que cette exposition temporaire drainera bien plus de gens que le musée lui-même ; voyons le bon côté des choses, tant de gens qui n’auraient pas vu ces oeuvres en « statique » (dans le musée »), les verrons « en dynamique » (dans une exposition) – Reflet de notre société où il faut que « cela bouge » pour être intéressant ?…

Toujours grâce à mon billet jumelé (2), je me suis dirigée, un peu désappointée, certes, vers la deuxième exposition, celle sur les joyaux indiens issus de la collection Al Thani (famille princière qui dirige le Qatar). Et là j’ai pénétré dans un autre monde. D’entrée, la muséographie est remarquable. Des espaces courbes qui sinuent dans la pénombre, à peine délimités par des cascades de fils d’argent portant des sequins d’or, dans une salle au papier peint en rappel des moucharabiehs arabes, toutes choses faisant comme des écrins aux splendeurs que nous allons voir. Cette scénographie installe comme un mystère, un suspense merveilleux en écho à la beauté un peu énigmatique de ces « joyaux ».

L’exposition nous présente des artefacts issus de l’art de la joaillerie de l’Asie du Sud-Est, créés sous l’empire des Moghols (1526-1859) puis sous l’Empire britannique (1858-1947), à partir de ressources largement fournies par les pays en question : saphirs, diamants, rubis, perles et or. Cette abondance conduit sûrement les maharadjahs à les utiliser sans réserve pour orner les objets qui les entourent et s’orner eux-mêmes de parures fabuleuses ; dans nos contrées et à notre époque, où ces pierres sont devenues des biens rares et chers, cela nous paraît presque insensé. C’est à une vraie démesure, du moins vu de notre système de valeurs à nous, à laquelle nous sommes conviés.

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Passé cette première sidération devant la préciosité des pierres (j’avoue avoir compris vraiment ici l’expression « briller de mille feux » : certains diamants vous éblouissent au sens premier du terme par l’étincellement de leurs facettes), nous pouvons admirer la finesse de ces oeuvres d’art nées d’un artisanat particulièrement habile et raffiné, sur lequel cette exposition pédagogique nous apprend maintes choses. Comme en Europe à l’époque, les pierres sont polies mais non taillées et serties dans le bijou ou l’objet selon la technique dite du « serti clos » (la pierre est enveloppée d’une fine lame de métal qui l’entoure totalement) ; nous utilisons actuellement plutôt des « griffes » qui fixent la pierre au support en la laissant apparente sur ses côtés et les pierres sont le plus souvent taillées en facettes pour mieux réfléchir la lumière.

 

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Monture en « serti clos »

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Monture en « griffes »

Il faut donc se laisser aller, accompagné par ces commentaires clairs et concis, à suivre ce chemin de beauté pure au travers de ces objets faits des matières les plus précieuses, croisant sur notre parcours parures masculines improbables de par leur somptuosité (3), coupes et cuillères sculptées dans un jade clair qui rappelle l’ivoire, et, sûrement le chef-d’oeuvre en termes de travail, un tapis fait de centaines de milliers de perles fines et de pierres précieuses cousues à même une peau d’animal.

Et enfin, cette exposition vraiment belle se clôt sur une mise en perspective vraiment excitante sur le plan intellectuel, quand elle évoque la jonction entre Europe et Asie, matérialisée par le voyage d’Alfred Cartier, fils du fondateur de la très célèbre maison de joaillerie française en Inde. Cette rencontre va conduire à une fusion des styles, l’Inde apportant les pierres et l’Europe une nouvelle manière de les mettre en valeur. Cela donne d’autre chefs d’oeuvre, plus proches sûrement de nos représentations, tel ce somptueux collier rubis/or/diamants (désolée pour la qualité de l’image qui ne rend pas justice à cette oeuvre d’art), ou cet extraordinaire diamant jaune revu dans le style indien des aigrettes de plume, la plume laissant ici place au platine et aux diamants.

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Je ne suis pas très intéressée d’habitude par les manifestations autour des bijoux ou de la mode, mais je dois dire que j’ai été ici impressionnée.

Je recommande (jusqu’au 5 juin, précipitez-vous) !

FB

(1) Pour ceux qui ne sauraient pas compter ou qui ne sauraient pas ce qu’est un centenaire 🙂
(2) Pour ceux qui n’auraient pas suivi, voir première ligne de l’article.
(3) « Où sont les femmes ? », comme chantait à l’époque un de nos grands artistes français, Patrick Juvet. Allez, un peu de « revival »…