A Anne et Jean-Louis
J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog de parler d’un film de ce maître américain, « Boire et déboires », qui, bien que considéré comme un film mineur, n’en reste pas moins pour moi un excellent film, représentatif de l’esprit du cinéaste.
Je m’attaque ici, si je peux dire, à ce qui est considéré comme l’un de ses chefs d’oeuvre, The party, où il retrouve Peter Sellers, à qui il a déjà donné la vedette dans « La panthère rose » (1963) et qu’il retrouvera par la suite plusieurs fois (notamment dans les habits de l’inspecteur Clouseau).
C’est déjà un régal en soi, de voir cet acteur énigmatique (1) endosser le rôle d’un Indien au nom imprononçable (Hrundi V. Bakshi) perdu dans la jungle « people » d’Hollywood. Résumons rapidement le scénario. Hrundi V. Bakshi, figurant dans une super-production cinématographique, cause par sa maladresse la destruction d’un décor inestimable. Le producteur, C. S. Divot, furieux, demande alors qu’il soit inscrit sur liste noire des acteurs ; par méprise, son nom va être porté sur la liste des invités V.I.P. d’une soirée donnée par le producteur dans sa magnifique maison (que nous imaginons à Beverley Hills, sans trop nous tromper, ce me semble 😉 ). A partir de là, tout ne va pas aller de soi…
Notons tout d’abord l’unité de temps et de lieu. A l’exception des scènes introductives que je viens de résumer et de quelques plans de fin, l’action toute entière se déroule dans cette magnifique demeure. Cette focalisation va permettre au metteur en scène de resserrer son intrigue et les gags qui la parsèment (2), en utilisant toutes les possibilités offertes par cette maison moderne (notamment le tableau de commande des diverses fonctions automatisées, qui devient un point d’ancrage du film). Tout objet peut ainsi devenir traquenard, l’allée dallée qui surplombe la piscine intérieure, la cheminée activée à distance, le bar qui se replie ou se déploie, les plate-formes qui s’escamotent, le Manneken-pis au jet réglable… Intérieur design des années 1970, équipé des dernières modernités disponibles, à l’instar de la Villa Arpel mise en scène par Jacques Tati en 1958 dans « Mon oncle« , qui devient un protagoniste de l’histoire à part entière dans ses mécanismes « intelligents ». Voyons là, peut-être une variation sur le thème de l’homme face à une machine qu’il a conçue et qui ne fonctionne pas comme il le souhaite (bien que nous n’assistions pas ici à un dérèglement des fonctions mécaniques, plutôt à des utilisations erratiques de l’outil). Et ne boudons pas notre plaisir, l’endroit est magnifique selon les canons du goût de l’époque et le Technicolor lui rend vraiment hommage.
Dans cet écrin moderne et opulent, où se déroule une soirée très chic, robes toutes de taffetas et strass, hommes en complet, alcool et nourriture raffinés, l’intrus va créer le chaos (aidé quelque peu par certains protagonistes, notamment la fille de la maison et ses amis qui ramènent rien moins qu’un éléphant dans le logis !).
C’est une montée progressive vers le grand n’importe quoi à laquelle nous assistons ici. Le héros, policé, mais gaffeur et ne possédant pas les codes de la société à laquelle il a à faire, commet maladresse après maladresse, mais tout cela orchestré de manière très subtile ; nous voyons bien que la majorité de ses actions sont dues à la non intégration dans le groupe auquel il est confronté (3). Si je ne pense pas qu’il faut voir ici une critique sociale (mis à part peut-être l’épisode de la fille « gâtée » qui rentre avec l’éléphant qu’elle a trouvé en chemin), c’est quand même une apologie de la liberté qui se dessine ici. L’acteur de seconde zone, épaulé par une charmante jeune fille qui se révolte contre le système, finissent par faire exploser involontairement ce monde codifié de personnes entre elles.
Pour en revenir à l’humour, qui est un des ressorts principaux de ce film, il est orchestré de manière magistrale. Il faut savoir que le grand-père de Blake Edwards était réalisateur de films muets, et également que lui-même, né en 1922, a dû voir tous ces héros comiques du cinéma muet américain, les Laurel et Hardy, Buster Keaton, Charlie Chaplin, etc. Tout cela irrigue et façonne l’humour qu’il nous donne à voir, tout en gestuelle (quasiment aucun dialogue, remplacés ici par des bruits qui prennent le relais, eau, bruits mécaniques..), en forme de comique visuel, jouant parfois sur la répétition, hilarant. Je veux faire mention ici du personnage du serveur, incarné par l’acteur Francis Davis, que nous voyons ci-dessous se faire presque assassiner (et pour cause). Son numéro de serveur qui n’arrête pas de boire les verres qu’il doit offrir aux invités, ce qui le met dans un état très limite rapidement, est excellent.
C’est donc un vrai chef d’oeuvre réjouissant que je peux vous recommander ici, sans restriction.
FB
(1) Peter Sellers (1925-1980) reste un acteur en marge du « star system », très secret, à l’instar des personnages qu’il incarne à l’écran.
(2) Bien que vu la taille de la maison, nous pouvons légitimement nous demander s’il y a vraiment unité de lieu… Je ne sais pas si Racine aurait validé 😉
(3) Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ces situations où vous vous retrouviez mêlé à un groupe étranger, en milieu professionnel ou amical, où vous ne saviez plus – littéralement – quoi faire de votre corps. Pour l’avoir expérimenté, c’est très éprouvant et arrive un moment où vous ne maîtrisez plus vos mouvements, à force de vous contraindre. Bref, je pense que j’aurais pu jouer dans le film !
Un classique du burlesque américain.