Cinémas – Woody ALLEN : Café Society (2016)

cafe society

Et voici le traditionnel opus annuel de ce cinéaste prolifique qu’est Woody Allen ; depuis qu’il a commencé à filmer des longs métrages, en 1969, il réalise a minima un film par an, avec un bonheur inégal. J’avoue avoir décroché quelques années après m’être profondément ennuyée devant « Harry dans tous ses états » (1997), pour redécouvrir quelques années après un cinéaste qui m’a enchantée avec « Escrocs mais pas trop » (2000), « Le sortilège du scorpion de jade » (2001) et surtout, surtout « Whatever works » (2009), pour ce qui est des comédies ; mais aussi, pour les films plus graves, les magnifiques « Match Point » (2005) et « Blue Jasmine » (2013) (1). Et puis, et puis, des hauts et des bas… Jusqu’à cette perle tendre et rose qu’est « Magic in the moonlight » (2014), qui préfigure le film que nous voyons ici.

Années 1930. Bobby Dorfman, jeune new-yorkais, décide de quitter sa famille pour aller faire sa vie à Hollywood, où son oncle Phil est un agent de stars célèbre. Il va faire la connaissance de la jeune et belle Vonnie, dont il va tomber amoureux. Pour une raison que je ne vous révèlerai pas, elle fait un autre choix et il rentre alors à New-York pour travailler avec son frère dans son « night-club » (2)…

Il est une phrase qui dit que la vieillesse fait retomber en enfance. Une peu trop caricaturale, certes, mais dont je voudrais extraire la quintessence, pour essayer d’expliquer ce que le cinéaste de 80 ans nous donne à voir ici. Une plongée dans son univers d’enfance, les années 30, où nous imaginons le jeune garçon, quelques années après, fasciné par les stars de l’Hollywood naissant, les Barbara Stanwick, Irene Dunne, Greta Garbo, Joel Mc Crea, Errol Flynn, Adolphe Menjou et autres, dont les noms traversent les dialogues comme autant de briques qui reconstruisent ce monde  disparu.

Ensuite, à l’instar du peintre Auguste Renoir qui, au fur et à mesure qu’il avance en âge, enrichit sa palette de couleurs chaudes, laissant loin derrière les teintes neutres, Woody Allen baigne son film d’une aura dorée, que nous retrouvons dans la belle lumière qui nimbe les personnages en écho aux délicates tenues et aux somptueux bijoux des femmes ainsi qu’à la couleur ambrée des alcools. Tout éclate de magnificence, décors (presque ?) originaux de villas de Beverley Hills magnifiées par le soleil ou bars chics tels que nous pouvons les voir dans les films de cette époque.

Car sans vouloir refaire littéralement une oeuvre des années 30, le cinéaste reconstitue l’atmosphère de cette époque dans ses aspects les plus spectaculaires, stars étincelant de lamé et vison blanc, gangsters coulant les corps abattus de leurs ennemis dans du béton, nuages de tabac et alcool à profusion dans les verres en cristal, et, comme toujours, magnifique musique de jazz interprétée par Count Basie et homologues.

Ce qui pourrait faire reconstitution, comme dans le film « The artist » de Michel Hazanavicius, prend ici une plénitude presque magique. Nous sommes là, dans cette atmosphère unique et tellement naturelle ; le film se déroule à la manière majestueuse d’un fleuve qui s’écoule selon sa pente originelle, évident et beau dans son évidence même. On pourra m’opposer qu’il ne se passe pas grand chose ici en termes d’intrigue ; certes, mais est-ce une obligation pour un moment de cinéma quand il vous emporte de cette manière ? Dans ces conditions nous pourrions renoncer à bien des oeuvres du septième art asiatique (je pense par exemple au fascinant « Les chiens errants » de Tsai Ming Lian, chroniqué sur le blog) 😉

La distribution, hétéroclite comme d’habitude chez le metteur en scène, est impeccable. Steve Carell en manager artistique survolté, Jesse Einsenberg en amoureux transi et homme volontaire qui prend en mains sa destinée et Kirsten Stewart, en belle qui sème le désordre. Sans parler des seconds rôles, tous excellents.

Notons au passage la prégnance de la question de la judaïté, qui va dans le même sens que mon propos ci-dessus, nous sommes bien dans un film où un homme qui a vécu la majorité de sa vie s’interroge sur son passé.

C’est une oeuvre cohérente de bout en bout, en forme de conte de fées, où Woody Allen nous emmène dans son monde intime. Et c’est somptueux.

FB

(1) Je signale à mes lecteurs qu’ils trouveront sur ce blog un compte-rendu de « Blue Jasmine » :
https://rue2provence.com/2013/10/27/cinema-woody-allen-blue-jasmine-2013/
Et de « Magic in the moonlight » :
https://rue2provence.com/2014/11/03/cinemas-woody-allen-magic-in-the-moonlight-2014/
(2) Bien que le mot existe à l’identique en français, je pense que la traduction la plus juste serait ici « bar de nuit ».