Tout en reconnaissant à Woody Allen une place centrale dans le cinéma américain (et mondial), je dois dire que je le trouve parfois surévalué par les critiques et qu’il m’a valu un certain nombre de déceptions (par exemple « Minuit à Paris » et « Vous allez rencontrer un beau et sombre inconnu », ou encore, plus anciens, « Celebrity » et « Harry dans tous ses états »). Je garde pourtant en mémoire les magnifiques « Match Point » et « Whatever works », sans parler des bouleversants « Hannah et ses soeurs », « Une autre femme », ou en apparence plus légers, « Crimes et délits », « Meurtre mystérieux à Manhattan ». Pour n’en citer que quelques uns.
Si je suis allée voir « Blue Jasmine », sans m’attendre à rien de particulier de la part du cinéaste, c’est surtout pour l’actrice principale Cate Blanchett, dont je reparlerai plus loin.
Je vais lever le suspense tout de suite, j’ai trouvé que c’était un très bon film. Entêtant et épanoui, à l’instar de la fleur éponyme, avec un équilibre rare. Woody Allen sait, quand il le veut, raconter des histoires de personnes pleines et originales, leur faire prendre vie devant nous, comme si nous les connaissions depuis toujours. Il fait montre d’un sens aigu de l’humain, au travers de la description fort juste de ces personnalités attachantes qui peuplent ses films. Toujours un peu originales, avec un je ne sais quoi de particulier, elles nous ressemblent cependant toujours par certains côtés et l’identification n’est pas difficile.
J’ai vraiment pensé à Anton Tchekhov et à son univers en voyant ce film. A l’instar du dramaturge russe, le cinéaste réalise une suite de tableaux intimistes, qui se succèdent tout au long de l’histoire. La galerie de personnages de Tchekhov est là, les dramatiques (Jasmine, Hal), les neutres (Dwight, Augie) et les « grotesques » (Ginger et Chili). Ils se croisent et inter-agissent tout en continuant chacun à jouer leur histoire personnelle au milieu des autres. Il y également la même cruauté à fleuret moucheté, dans ces rapports a priori policés, qui voient des vies se construire ou se défaire. Et également un décalage par rapport à la réalité, bâti chez Tchekhov sur le « trop » (les protagonistes sont presque toujours un peu à côté, sonnent faux, en font trop et introduisent ainsi une distance au réel qui donne une vraie force à l’histoire toile de fond) et ici sur la sublimation de la réalité, à la manière d’un conte de fée. Perfections des lumières, des couleurs, des décors et des costumes, complètement maîtrisés, qui ne créent que de la beauté et abstraient ainsi l’histoire d’un vrai contexte réel. Nous sommes comme dans un monde idéal, sans laideur plastique, quel que soit le niveau social des protagonistes. Et l’histoire répond à cela puisqu’elle est centrée sur Jasmine, jadis grande bourgeoise new-yorkaise, qui regrette son standing de vie d’avant et va tout faire pour le retrouver, ce qui crée l’opportunité de plongées successives dans la vie fastueuse des Grands de New-York par des allers-retours entre passé et présent.
C’est aussi un film de cinéphile, qui contient de multiples références. Comment ne pas penser à Blanche Dubois d « Un tramway nommé Désir », qui débarque en perdition, comme Jasmine, chez sa soeur ? Mais également à « Gatsby le magnifique », pour les atmosphères de fêtes dans un cocktail d’alcool et d’argent ? L’héroïne, avec son physique presque parfait et sa blondeur, rappelle les stars de l’Hollywood d’antan. Et je pense que je n’ai pas épuisé le sujet.
Jasmine, c’est Cate Blanchett, magnifique (comment la décrire autrement ?). Cette actrice incroyable, qui nous enchante depuis longtemps et qui nous livre ici une véritable performance (au sens français du terme). Elle fait vivre ce personnage de femme trahie et brisée, qui cherche réconfort dans l’alcool et les tranquillisants, tout en gardant la tête haute et ses ambitions, sans se poser trop de questions. Déchue (j’ai pensé à Sunset boulevard, par moments) et tellement belle à la fois, une princesse crépusculaire et solaire, égarée dans un monde trop brutal pour elle, dont elle ne maîtrise pas complètement les codes (voir l’épisode avec le dentiste). L’actrice réussit à rendre vrai ce personnage qui aurait pu tomber facilement dans la caricature du pathos ou de la folie. Elle est sans concession pour elle-même, en sueur, tremblante, défaite mais jamais battue. Nous reconnaissons ici, mêlé au talent de Cate Blanchett, celui du cinéaste comme directeur d’actrices. Il aime les femmes et sait leur donner des rôles à leur mesure, qu’elles soient des protagonistes régulières dans ses films (Mia Farrow, Diane Keaton) ou plus occasionnelles. Il fait éclater leur beauté à l’écran et nous conte une histoire de rencontre à deux (Helen Hunt dans « Le sortilège du scorpion de jade », Mira Sorvino dans « Maudite Aphrodite », Gena Rowlands dans « Une autre femme »…).
Autour d’elle, des seconds rôles impeccables, avec une mention spéciale à Sally Hawkins que j’avais particulièrement appréciée dans « Be happy » de Mike Leigh (2008) et qui est très touchante dans ce rôle de soeur à la fois maternante et en admiration devant son aînée, même diminuée.
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