Cinéma – François DUPEYRON : Mon âme par toi guérie (2013)

mon ame

Après « Failir être tué », dans la catégorie littérature (voir sur ce blog), voici un des plus beaux titres récents du cinéma. Et qui contient tant de possibles : la spiritualité, l’amour, la rédemption. Il tire tout de suite notre idée du film vers une vision éthérée et sentimentale, loin des contingences matérielles.

Toutes ces dimensions sont présentes, elles irradient le film de bout en bout, au-delà du seul titre. En s’appuyant sur une vie quotidienne qui n’est ni dramatisée, ni héroïsée. Peu importe que les personnages vivent dans le sud-est de la France (sans démonstration inutile de palmiers ni de soleil), logés dans des caravanes de fortune (sans pathos sur le basculement possible dans la précarité). Ce ne sont que des arrière-plans qui permettent à François Dupeyron de dérouler l’histoire qu’il veut nous raconter. Nous pourrions opposer sur ce plan, sans esprit de critique, ce film à ceux de Robert Guédiguian, : en aucun cas il ne se veut militant, il donne simplement à voir une réalité sociale qui lui sert à planter son décor.

Le cinéaste nous livre une oeuvre sur le long chemin qui mène à soi-même, qui raconte comment certains semblent le prendre avec réussite et d’autres moins. Les Américains ont inventé une catégorie bien particulière pour ce genre, le fim initiatique, où nous voyons un personnage se découvrir à lui-même et aux autres au fil du récit. A trop vouloir en faire un mode de récit spécifique, parfois jusqu’à la caricature (la femme d’affaires célibataire qui se retrouve à la tête d’une tribu d’enfants, par exemple), ils nous font parfois oublier l’essentiel : nous sommes devant une figure normale de la vie, qui nous oblige à aller de l’avant, jour après jour pour mieux nous retrouver (ou nous perdre ?). Ici, le cinéaste, qui nous avait déjà livré des films délicats dans la même veine (je citerai les superbes « Drôle d’endroit pour une rencontre » en 1988 et « La chambre des officiers » en 2000) fait le beau récit d’un moment de vie, centré sur la personne de Frédi, élagueur/guérisseur.

Les ambitions spirituelles et sentimentales qui parcourent le film tel un filigrane, ne cessent d’être rattrapées par les contingences matérielles de l’histoire, ce qui donne aux premières, paradoxalement, d’autant plus de surface et de crédibilité. En résulte un équilibre presque magique entre la vie réelle, très concrète et la quête ontologique que chaque personnage mène au quotidien au travers de son existence. Il ne s’agit pas ici de réussir sa vie mais de la vivre. Ainsi, nous ne saurons pas si ce couple qui se raccommode après séparation a fait le bon choix. De même qu’il n’est pas si important que cela de savoir si le don de Frédi va lui apporter le succès ou s’il a rencontré la femme de sa vie. C’est le chemin qui compte.

Toute cette philosophie s’incarne à merveille dans le magnifique interprète qu’est Grégory Gadebois. J’ai eu la chance de le voir plusieurs fois à la Comédie Française et je l’ai particulièrement apprécié dans « Angèle et Tony » d’Alix Delaporte, où il jouait un rôle similaire. Terrien et presque ordinaire dans son corps et ses gestes, il transcende à chaque minute du film cette condition corporelle pour nous faire sentir son être profond, ses doutes et ses élans, réconciliant en cela les deux dimensions du film. Il est accompagné par une distribution magnifique d’acteurs et actrices tous au diapason. Céline Sallette, extraordinaire paumée fragile en train de sombrer, belle jusqu’à la laideur, que j’avais remarquée comme une fulgurance dans le film « Ici-bas » de Jean-Pierre Denis en 2011. Marie Payen et Philippe Rebbot, qui nous donnent une véritable leçon d’interprétation de l’amour/désamour d’un couple , avec un naturel confondant. Et, enfin, non des moindres, Jean-Pierre Darroussin, d’une justesse désarmante dans le rôle du père de Frédi, superbe de précision dans une sobriété de jeu qui nous laisse sans voix.

J’ajouterai que ce film parle avec finesse de la filiation et de la transmission. Le propos est clairement assumé à propos du don de guérisseur que Frédi hérite de sa mère (et qu’il refuse au départ…), mais il sous-tend tout le récit. Que donnons-nous aux autres, qu’acceptons-nous de leur part ? Le cinéaste tisse notamment des scènes très belles entre Frédi et son père et nous suivons au travers d’une histoire faites de petits riens, la relation si réelle entre un père et son fils. Je pourrais en dire autant sur les relations entre Frédi et son couple d’amis, terre-à-terre et pleine de choses justes.

La relation centrale entre Frédi et Nina, bien qu’a priori irréaliste, soutenue par ces soubassements tellement forts, en devient parfaitement crédible et belle.

J’ai aimé ce film et plus j’y réfléchis, plus je pense qu’il fait partie des grands.

FB