Cinémas – Baltasar KORMAKUR : Everest (2015)

everest

J’aime bien, de temps en temps, regarder un film catastrophe, genre éminemment américain, s’il en est, qui repose d’après moi sur trois piliers fondamentaux, que nous pourrions appeler les trois « A » : argent, acteurs et affrontement à la nature. Le premier terme va de soi, il faut trouver des financements pour réaliser les scènes spectaculaires. Il est ensuite nécessaire de peupler le film de têtes d’affiche, qui, même lorsque leur rôle est réduit à presque rien (ici Josh Brolin ou Jake Gyllenhaal, côté masculin, et je ne parlerai même pas des femmes, Robin Wright et Keira Knightley, vraisemblablement en mal d’argent ou de reconnaissance, ne faisant que des apparitions fugitives, Emily Watson ayant quant à elle quelques lignes de dialogue supplémentaires par rapport à elles, du genre un A4 peu dense sur l’ensemble des deux heures). Cela se comprend plus facilement lorsque nous évoquons la troisième caractéristique citée plus haut, car c’est ici la nature qui est au centre du film. Comme j’ai déjà eu l’occasion d’aborder la question, les Américains (1) entretiennent une relation ambigüe à cette force tellurique, qu’ils ont mise – et continuent à mettre- à mal, comme les conquérants qu’ils étaient à leurs débuts, défrichant, excavant et polluant à tout va, et sur laquelle ils continuent à focaliser une sorte de catharsis, la faisant ressurgir dans ce type de film comme une entité mauvaise qui viendrait se venger de l’Homme (2)

Dans cette veine s’inscrit parfaitement « Everest« , dont nous savons dès l’affiche que tout va s’y finir mal (« The most dangerous place on earth », dit le sous-titre, soit « l’endroit le plus dangereux sur terre »). Avec un tel avertissement, nous nous renfonçons dans notre fauteuil/canapé/siège de cinéma, prêts à compter les morts (voire les blessés, ne faisons pas les difficiles).

Le synopsis est basé sur une expédition qui a tenté en 1996 de monter au sommet de l’Everest et a tourné à la catastrophe. Nous allons suivre, pendant les deux heures que j’ai mentionnées, sans ennui je dois dire, le récit de cette conquête mortelle, selon un découpage propre à ce genre de film ; d’abord la présentation des protagonistes dans leur milieu ambiant ou par interrogations successives des uns par les autres, puis (acte II) leur préparation et enfin (acte final) l’expédition elle-même.

Sur le plan cinématographique, les images de la montagne sont magnifiques – heureusement, pourrait-on dire, c’est quand même la moindre des choses… Pour le reste, nous sommes dans un film hybride, qui n’ose pas prendre complètement parti pour le spectaculaire (comme l’avait fait par exemple en 2000 Martin Campbell dans « Vertical limit ») et veut souvent faire dans le réalisme pour nous montrer ces hommes et femmes qui souffrent. Las, cela ne prend pas, car le metteur en scène a oublié quelque chose de fondamental, c’est que nous sommes venus là comme au spectacle, il nous faut des choses qui déménagent. Ou alors nous sommes devant un documentaire et nous allons nous conditionner à l’avenant. Hésitant entre deux, il nous laisse sur notre faim et nous avons même peine à nous apitoyer au récit des aventures tragiques qui se déroulent devant nous : ami cinéaste, choisis ton camp ! Si tu n’appartiens pas à la catégorie des films d’auteur, qui ont encore le droit de nous surprendre, c’est que tu as choisi un autre genre pour lequel nous sommes formatés, et toute incursion hors des règles fixées peut te valoir un grand flop !

J’ajouterai que, en rendant cette aventure tellement réaliste, le cinéaste est parvenu à me faire s’interroger sur le bien-fondé du film et de l’histoire même qu’il nous conte. En effet, dans ce monde où se déroulent tellement de tragédies, est-ce décent de dépenser 65 millions de dollars pour raconter le destin d’un groupe de touristes aisés, qui meurent ou sont blessés dans ce périple, certes, mais avec la conscience du danger encouru et engagés dans une démarche parfaitement égoïste sans aucun respect de l’environnement (témoin les dizaines de bouteilles vides d’oxygène qu’ils abandonnent un peu partout, cf. ce que je disais plus haut sur le rapport à la nature) ? C’est une vraie question.

C’est donc très intéressant à voir et à analyser au deuxième degré.

FB

(1) Notons qu’ici, la réalisation est américano-anglo-islandaise ; indice de la chaîne de financement ? Lorsque l’on connaît les proximités des banques de ces pays, cf la crise de 2008, on peut légitimement se poser la question ; car ne nous voilons pas la face, nous sommes ici dans un film qui veut rapporter du cash.
(2) Nous noterons au passage que choisir la Nature comme ennemie, outre l’inversion de paradigme qu’elle propose – c’est elle qui est mauvaise et pas l’Homme – permet de ne pas évoquer les autres ennemis humains, Djihadistes, Communistes et j’en passe.