Voici des images que je vous demande de regarder attentivement.
Il s’agit de deux dessins, représentant respectivement une vigne et une ortie. Quoi de plus banal que ces plantes, sans fleurs ni fruits pour les glorifier. La première pousse en groupe, sans unicité, et son existence est de plus éclipsée par la renommée du nectar qu’elle produit. La deuxième est repoussante de danger (même si elle est utilisée dans maintes décoctions) et en tire une réputation de plante mauvaise.
Et pourtant, voyez comme ces deux déshéritées de l’esthétique classique prennent vie et forme dans ces dessins, faits de rien en apparence, sanguine et quelques rehauts de blanc. Traitées à la manière de portraits en pied par un artiste qui en a saisi toute leur complexité végétale, elles deviennent quasiment des héroïnes mystérieuses et impériales.
J’ai adoré ces dessins, que je suis restée à contempler dans ce si joli Musée Cognacq-Jay (1) au gré de cette petite exposition très agréable consacrée à un peintre français (jusque-là inconnu de moi), Jean-Baptiste Huet. Reçu à l’Académie de peinture en 1769 avec son chef d’oeuvre montrant des oies attaquées par un chien (voir ci-dessous), il peint des pastorales laissant une grande part aux animaux et dans la veine de Boucher (2) pour ce qui est de la représentation des femmes.
Il produit également des cartons pour la réalisation de tapisseries par la fameuse manufacture des toiles de Jouy, légères, pleines d’arabesques, de figures antiques délicates et minutieuses et d’animaux en tout genre.
C’est un peintre virtuose du détail, qui sait saisir au travers de son crayon ou de son pinceau les moindres reliefs et frémissements des vies animales et végétales ; loin pourtant d’un « hyper-réalisme » plat de type photographique, il sait animer ses sujets d’un onirisme délicat. Et nous sentons combien il a à coeur de restituer la beauté de ce qu’il voit, même dans les choses les plus triviales. Ainsi ce lapin mort ou ce troupeau ci-dessous, à qui il ne manque que la parole (même si nous avons quelques doutes pour le lapin 😉 ).
Et je garde pour la fin cette étonnante lionne aux yeux humains, qui nous regarde depuis son zoo parisien avec ses petits depuis ce siècle ancien ? Comme une représentation d’une femme avec ses enfants, une maternité animale qui ne dirait pas son nom.
Vous comprendrez aisément que j’ai adoré arpenter ces trois petites salles, m’arrêtant devant chaque dessin et tableau, comme si se déroulait pour moi, hors du temps, une plongée infinie dans la beauté.
FB
(1) Situé dans le Marais, à Paris, il abrite, outre quelques modestes expositions temporaires, des oeuvres du XVIIIe siècle rassemblées par le couple Ernest Cognacq et Marie-Louise Jaÿ, fondateurs des grands magasins « La Samaritaine » au XIXe siècle. C’est un endroit délicieux.
Le lien vers le site : http://museecognacqjay.paris.fr/fr
(2) François Boucher, peintre français (1703-1770), représentatif du style « Rocaille », actif sous Louis XV et connu pour ses portraits de femmes.
Merci de cette invitation à l’aller visiter.