Tchécoslovaquie, début des années 1980. Anna, jeune fille qui vit seule avec sa mère (son père a émigré à l’Ouest), fait partie des espoirs sportifs, capable de décrocher une médaille aux Jeux olympiques de Los Angeles qui vont avoir lieu en 1984, à la course (discipline : 200 m). Pour lui permettre d’aller plus loin dans ses performances, l’entraîneur la pousse à signer un protocole pour prendre du « Romba », des stéroïdes anabolisants, sans qu’elle sache vraiment de quoi il s’agit. Et elle va devoir faire un choix par rapport à sa santé et sa vie.
Ce film nous ramène dans une époque et un lieu particulier, à l’Est, quelques années avant la chute du mur de Berlin, quand rien n’est encore perceptible dans cette délivrance à venir. La cinéaste a vécu cette époque, adolescente et nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’elle a projeté ici un peu de son vécu. Notamment dans les décors et costumes, qui baignés d’une lumière trop crue ou trop grise, en deviennent lugubres, malgré les touches de couleurs chaudes (un orange bien daté de cette période par exemple). Nous avons droit à une restitution sans recherche d’effet, malgré son côté minutieux qui ne laisse rien au hasard, elle filme de l’intérieur ; l’exotisme surgit de notre éloignement à ce monde, nous qui n’avons pas vécu dans ces conditions.
Le film, qui, par exemple aux Etats-Unis, aurait été l’ascension de cette jeune femme surdouée à la course à pied, vers les plus hautes récompenses sportives, se décentre de son sujet, se transforme en autre chose, un aperçu de la vie telle qu’elle peut être, comprimée et contrainte par cet Etat autoritaire (pour ne pas dire plus). Cette substance « miracle » garantit à Anna la victoire, mais surtout celle de son entraîneur (qui gardera son poste) et des apparatchiks au-dessus de lui qui supervisent l’affaire et sont eux aussi prêts à tout pour garder leur rang. Car perdre son rang n’est pas tout, cela entraîne dégradation, relégation, voire plus, comme nous le pressentons. Et donc, dans ce système inhumain, au travers de cette illustration qu’est Anna, nous voyons se jouer les mécanismes délétères engendrés par la peur, qui régissent la société. Le naturel des interactions humaines, amitié, amour, tout se dissout dans cette atmosphère de suspicion et de chantage généralisés. Anna devient un objet, instrumentalisée pour une victoire qui n’est finalement pas celle que l’on croie ; aucun respect pour elle, ni de la part du médecin, qui ne regarde que les performances, ni de la part de l’entraîneur, pour qui elle n’est qu’un moyen de battre un record (nous apprendrons incidemment que la mère d’Anna a épousé son propre entraîneur, peut-être dans une époque ancienne où la terreur n’avait pas encore pu s’installer…). Toutes les relations sont dures, intégrées dans cette chaîne de peur/dénonciation/chantage, chacun pouvant devenir d’un jour à l’autre suspect d’activités subversives (1). Et nous comprenons pourquoi tout le monde baisse la garde ou essaye d’émigrer.
A la lueur de tout cela, nous comprenons qu’Anna se révèle une vraie héroïne dans le système, en tentant, envers et contre tout, de continuer à faire ses propres choix.
Notons la très bonne prestation de tous les acteurs, Anna Geislerova (Anna) en tête.
C’est un film vraiment réussi et à voir
FB
(1) Incroyable scène où une femme, la bouche déformée par un rictus mauvais, lit à la mère d’Anna ses chefs d’inculpation.