Cet auteur français, que j’ai découvert en 2013 en lisant son opus « En ville » (voir article sur ce blog) m’avait laissée très agréablement surprise par l’originalité de son écriture. Ayant déjà dit bien des choses dans mon précédent billet, je vais essayer ici de compléter mon ressenti, à partir de ce livre, qui présente des points communs avec le précédent mais a également sa vie propre.
Nous retrouvons ici ce style si particulier, fait d’une description quasi-littérale des gestes ou des pensées les plus infimes, qui prennent de ce fait un relief saisissant, instaurant une dimension temporelle dilatée, puisqu’il faut parfois plus de temps pour lire une page que celui que met le protagoniste à réaliser l’action décrite. Ainsi, dans cette temporalité curieuse à la fois presque creuse et emplie de foule de petits riens, chaque micro-événément devient une aventure à lui tout seul : se raser, conduire, acheter des fleurs… Et nous nous reconnaissons dans cette succession de milliers de fractions de bout d’actes ou de réflexion. C’est bien nous, vu du dedans, comme si quelqu’un avait pénétré dans notre être pour exposer au monde son univers intérieur fourmillant, alors que nous donnions l’impression d’une grande normalité/banalité d’un comportement qui apparaît ainsi, de fait, comme condensé.
Cette manière d’écrire permet à l’auteur d’installer une épopée là où n’aurait pu exister qu’une histoire peut-être sans intérêt. Soit un homme, le narrateur, qui, en perdant sa serviette contenant ses clés, ne peut plus rentrer chez lui (son « grand appartement » à Paris, dont nous ne saurons rien en fait). Et finalement, cela l’arrange plutôt finalement car il aurait dû retrouver Anne avec laquelle il vient d’emménager récemment, cohabitation qui le perturbe. De fil en aiguille, il va se retrouver dans des situations qui l’éloignent de sa vie d’avant, un peu comme un bateau à la dérive, conduit par des personnages féminins qui agissent ici comme des envoyées du Destin, pour finir par lui créer une vie tout à fait différente en quelques jours.
C’est l’histoire d’une renaissance, nous le sentons ainsi. Le héros est prêt à changer d’existence et il va le faire radicalement ; professionnellement, amicalement, sentimentalement et géographiquement ! Mais ce revirement n’est pas réfléchi, pas de plan ordonné qui le guiderait, non, juste une succession de décisions qui se prennent malgré lui, il se laisse seulement porter par son envie d’autre chose ; ainsi, à partir d’un point d’ancrage qui fait le titre du livre, le fameux « grand appartement » le héros dérive, prend des tangentes jusqu’à ce que sa vie ne ressemble plus à rien de ce qu’il connaissait…
En guise de référence, nous pourrions citer Michel Butor avec son livre « La modification » (1) pour le côté clinique de ces descriptions parfois tellement factuelles et triviales que les deux auteurs font des états d’âme et des gestes de leurs personnages. Mais là où je trouve Michel Butor très ennuyeux, Christian Oster parvient à transcender le procédé pour le transformer en quelque chose de très drôle ; car la vie et l’humour surgissent sans cesse au gré des pages, un peu à la manière de Jacques Tati (2), qui excellait pour faire naître le rire de situations très quotidiennes, créant à partir de rien un comique de situation inégalé.
C’est donc un livre que je recommande, vous l’aurez compris, court opus (moins de 300 pages) dépaysant et plein d’un humour dépourvu d’immédiateté (au second degré, pourrait-on dire), mais bien réel.
FB
(1) Dans les années 1950 est né en France le courant du « Nouveau Roman » ; ses protagonistes les plus célèbres sont Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Claude Simon et Marguerite Duras. C’est un mouvement qui se veut radical dans sa déstructuration du récit, avec comme point fort le fait que l’écriture se centre sur les états d’âme et la vie intérieure des personnages ; cela donne des récits à l’écriture minimaliste, avec, je dirai, une certaine recherche de la platitude. Dans « La modification », le roman est bâti à partir d’un indicateur de chemin de fer Paris-Rome.
(2) J’ai particulièrement en tête « Mon oncle » et notamment la scène hilarante de la fontaine que l’on ouvre et que l’on ferme selon les visiteurs…