Littérature – Jack LONDON : John Barleycorn, le Cabaret de la dernière chance (1913)

jack london

Jack London – de son vrai nom John Griffith London (1876-1916) est un auteur américain surtout connu pour ces livres d’aventure, dans le Grand Nord ou sur les mers (qui ne connaît pas « Croc blanc » ou « L’appel de la forêt ») mais qui a également écrit des livres autobiographiques, auquel appartient celui dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui.

C’est un auteur qui adosse son oeuvre, qu’elle soit de fiction ou autre, à sa vie hors du commun et tragique. A l’origine, c’est un enfant non désiré, son père quitte sa mère enceinte et elle fait une tentative de suicide ; remariée peu de temps après avec un certain John London, elle renomme son fils Jack. Sans vouloir plus que cela plonger dans les méandres de la psychanalyse, nous pouvons nous demander comment un enfant peut se structurer avec un tel poids de négation à porter… Ce qui semble le sauver est la lecture, car il dévore livre après livre. Il mène une vie de vagabond, enchaînant les petits boulots, n’hésitant pas à cingler vers des horizons lointains, ce qui l’amène au Japon, à Londres, en Corée et au Klondike (Canada) où il accompagne la fameuse « ruée vers l’or », tout en ne cessant d’écrire. Plus tard, enrichi par la vente de ses livres – c’est un auteur plus que prolifique-, il ne cesse pas pour autant cette vie de baroudeur, faisant construire un yacht, le « Snark » (1), qui l’emmènera jusqu’en Australie et à Hawaï. Miné par l’alcool, il meurt en 1916 à l’âge de quarante ans.

Il nous rappelle, de par ce choix de vie engagé dans l’action et dans le monde, des écrivains tels que George Orwell (1903-1950) ou Joseph Kessel (1898-1979) (2), des « têtes brûlées » dirions-nous aujourd’hui dans notre société si policée. Des hommes d’aventure mais également présents dans leur époque – George Orwell s’est impliqué dans la guerre d’Espagne (3), il a également écrit un livre majeur du XXe siècle, « La ferme des animaux », critique au vitriol des régimes totalitaires ; Joseph Kessel a, au travers du  journalisme, couvert par exemple les procès de Pétain et Eichmann). Jack London fait également oeuvre politique au travers de ses récits, peignant la misère et la vie déshéritée (objet central de son livre « Le peuple d’en-bas »), mais également, à l’instar des deux auteurs cités plus haut, en se confrontant à la différence des autres peuples. Grand baroudeur, il nous restitue des atmosphères lointaines, le Grand Nord, l’Extrême Orient dans toute la rudesse et la chaleur des relations humaines qu’il y tisse.

Ce livre fulgurant, écrit quelques années avant sa mort par un écrivain  humble et lucide, est tout à fait à part dans la littérature que j’ai pu fréquenter. Un certain nombre d’écrivains ont mis en scène leur alcoolisme, réel ou romancé, au travers de livres comme par exemple Sur la route » (Jack Kerouac), « Au-dessous du volcan » (Malcolm Lowry) ou « Le buveur » (Hans Fallada,) » – ce dernier étant sans doute le plus proche du propos de Jack London. Dans ces opus nous sommes fascinés par la spirale délétère qui s’empare des personnages principaux, comme dans le livre de Jack London. Mais il existe une différence de taille qui distingue ce dernier, car l’alcool est ici le protagoniste principal, sous le nom de John Barleycorn (4), là où dans les autres romans, il n’était qu’un moyen pour se perdre. Personnifié tel un Faust qui cherche à attirer l’auteur vers le côté noir, il dialogue avec lui tout au long de l’oeuvre, en un discours implacable et irréversible. A partir de l’âge de cinq ans (!), où il boit pour la première fois un verre, l’alcool entre dans la vie de l’écrivain pour ne plus le lâcher, tel un filigrane de mort contre lequel il ne cesse de lutter. Il nous conte son vain combat, placé dès le début du récit sous l’auspice de la défaite, car, même s’il parvient à cesser de boire pendant de longues périodes (dans son enfance, en mer…) il est rattrapé par les beuveries. Placé au commencement sous le signe de la convivialité qui ne peut se refuser (quand chacun paye sa tournée dans un débit de boissons), l’Alcool devient ensuite un besoin solitaire et dissimulé (magnifiques pages sur son addiction progressive aux cocktails, lorsqu’il se retrouve sous les Tropiques).

C’est un livre qui a fait parler de lui, à juste titre, car Jack London, au faîte de sa gloire, se met à nu, dans une auto-flagellation implacable ; en homme d’honneur, il assume l’entière responsabilité de son naufrage, perdant magnifique dans son duel inhumain contre l’addiction.

Je ne parlerai qu’à peine du style, soutenu et fluide, comme à l’habitude chez cet écrivain de grande classe, mais qui s’efface ici devant le propos tellement puissant.

FB


(1) Allusion à Lewis Carroll, qui a écrit « La chasse au Snark » en 1876 ?
(2) J’adore les deux !
(3) A lire absolument, « Hommage à la Catalogne ».
(4) Littéralement : « John grain d’orge », l’orge étant à la base de la fabrication du whisky (« malt » en anglais).