Arts plastiques : Jean-Baptiste CARPEAUX (1827-1875)

Enfant de Valenciennes, sculpteur en forme d’étoile filante, mort fort jeune, Jean-Baptiste Carpeaux fait aujourd’hui la matière d’une exposition au Musée d’Orsay. Même si son nom vous dit peu de choses, vous le connaissez sûrement si vous êtes parisien, puisqu’en laissant l’Opéra Garnier à main gauche en direction du Boulevard Haussmann, vous frôlez une de ses oeuvres les plus connues « La Danse », qui orne le monument et tranche, par son style dynamique avec les autres sculptures voisines. Ou alors au Musée du Louvre, où « La France impériale portant la lumière dans le monde en protégeant l’Agriculture et les Sciences » (1) compose un des frontons du Pavillon de Flore. 

danse carpeaux

« La Danse »

Ci-dessus le Pavillon de Flore et ci-contre "La Danse"

Le Pavillon de Flore

 

Elève de François Rude, à qui l’on doit « La Marseillaise », haut-relief de l’Arc de triomphe de l’Etoile mais également fortement influencé par Michel-Ange (la composition du Pavillon de Flore rappelle le tombeau de Jules de Médicis à Florence), il incarne parfaitement, au premier abord l’idée que nous nous faisons des artistes de cette partie du XIXe siècle. Tout d’abord fasciné par l’Italie. Au sortir de la période néoclassique, l’Italie antique reste encore d’une influence prégnante dans l’Art et pouvoir séjourner à la Villa Médicis, comme le fait Jean-Baptiste de 1856 à 1862 est un peu comme accoster en Eldorado. Sa sculpture prend alors parfois des allures de Canova (2), à côté des emprunts qu’il fait à Michel-Ange. Car il sait alterner des styles différents et complémentaires, tout en force lorsqu’il s’agit de représenter « Ugolin et ses fils » (3) – qui n’est pas sans rappeler la statue antique de Laocoon des Musées du Vatican – ou tout en douceur pour le « Pêcheur à la coquille », là aussi inspirée de la statuaire antique romaine.

"Pêcheur à la coquille"

« Pêcheur à la coquille »

Ugolin dévorant ses enfants

Ugolin et ses quatre enfants

Toutes ces sculptures font preuve d’un savoir-faire très abouti, qui conjugué avec un perfectionnisme d’une exigence absolue (il détruira nombre d’entre elles, qui ne lui plaisaient pas ou avaient déplu au commanditaire) nous mettent face à une oeuvre techniquement proche de la perfection (la finesse des dentelles dans les portraits en sont un bon exemple). Cela explique sûrement, si l’on tient compte par ailleurs de sa mort prématurée, le nombre d’oeuvres inachevées qu’il nous lègue, le projet d’un « Watteau » à Valenciennes, achevé après sa mort, un « Saint-Bernard » ou un « Rabelais », faites et refaites et finalement restés à l’état d’esquisse. Nous voyons également l’intimité du rapport qu’il développe à son oeuvre au travers des multiples … qu’il en donne, comme par exemple, ci-dessous, le portrait du Prince impérial, fils de Napoléon III.

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Car c’est aussi un artiste inscrit dans son époque. Sans aller jusqu’à le qualifier de « peintre impérial », il est reconnu par la famille impériale et son entourage, dont il exécute un certain nombre de représentations. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des plus grands portraitistes du siècle, immortalisant tour à tour de nobles figures comme celles de la Princesse Mathilde (4), du peintre Jean-Léon Gérôme, du musicien Charles Gounod ou d’Alexandre Dumas fils, dont il était un ami intime.

Ce que cet artiste installe au coeur de la sculpture du XIXe siècle, c’est le mouvement et sa représentation. Il met sa virtuosité au service du surgissement de la vie dans la pierre ou la terre, insufflant âme et chair à ces matières inanimées, un peu à l’instar de la légende de Pygmalion (5). Ces personnages sont effectivement sur le point de prendre vie devant nous, ils sont réels. C’est une véritable dynamique qui irradie de ces sculptures. Et j’ajouterai que celles en terre cuite, qui préfigurent les marbres, lui permettent de donner toute sa dimension ; car le marbre fige davantage, même si son côté lisse permet une douceur différente. 

La marquise de la Vallette - elle n'a pas aimé le fait que le sculpteur n'avait pas gommé les rides du temps

La marquise de la Vallette – elle n’a pas aimé le fait que le sculpteur n’avait pas gommé les rides du temps

Mademoiselle Fiocre

Mademoiselle Fiocre

Une incursion dans son oeuvre peinte permet de mieux comprendre, à mon avis, cette recherche essentielle qui est celle de l’artiste. Tout y est traits esquissés et suggestion de mouvements, qui rendent ces tableaux vibrants d’une réalité insoupçonnée. C’est ce que l’artiste a reproduit en tant que sculpteur dans un matériau bien plus immobile, en une lutte victorieuse et acharnée.

 

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Enfin, je livrerai en forme de conclusion ce que dit Charles Gounod du sculpteur  :
« Les douze à quatorze séances pendant lesquelles j’ai posé m’ont permis d’apprécier tout ce qu’il y avait en Carpeaux de passion pour le grand art auquel il a consacré sa trop courte existence. Tel il a été dans ses oeuvre, tel il se révélait dans sa conversation, ardent, fougueux, ému et persévérant : on sentait dans son regard la chaleur, la promptitude de sa conception ».

C’est un artiste majeur auquel le Musée d’Orsay vient de rendre un (trop court) hommage, en une exposition intelligente et pédagogique. Si vous êtes Parisien, vous pouvez la voir jusqu’au 28 septembre ; pour les autres, achetez le catalogue, vous ne serez pas déçus.

FB

(1) Ceux qui avaient le titre dans le bon ordre et avec tous les mots gagnent le droit de ne pas lire cet article ! 😉
(2) Sculpteur italien (1757-1822)
(3) Ugolin est un personnage de « L’Enfer » de Dante Alighieri, tyran du XIIIe siècle italien, condamné d’après l’écrivain à être enfermé dans une prison avec ses enfants et petits-enfants, sans nourriture. Après les avoir dévorés, il finira par mourir de faim.
(4) Cousine de Napoléon III
(5) Le sculpteur Pygmalion, dans la mythologie grecque, réalise la sculpture de Galatée, magnifique femme et tombe amoureux de son oeuvre, à laquelle la déesse Aphrodite donne vie à sa demande.