Voici un film pour lequel la cinéaste – qui avait fait peu de choses avant et n’a rien produit depuis, à notre connaissance, nous sommes face à un météore et peut-être face à l’oeuvre d’une vie ? – a obtenu le grand prix du jury du Festival de Sundance et le prix du jury du Festival du film américain de Deauville, en résumé un plébiscite en France et Outre-Atlantique. Comme une réconciliation entre les deux continents, ce qui n’est pas peu de chose en termes de cinéma…
Adaptée d’un roman de Daniel Woodrell, auteur principalement de romans policiers, l’histoire met en scène, dans une région perdue du Missouri, une jeune fille de dix-sept ans, Ree Rolly, qui, en l’absence de son père et face à une mère malade chronique, a pris en main le devenir du foyer et notamment de son frère et de sa soeur cadets. Là-dessus survient une catastrophe possible en forme d’épée de Damoclès : son père étant recherché par la Justice et ayant hypothéqué la maison pour sa caution, la petite tribu risque de se retrouver sans abri s’il ne se manifeste pas. Ree Rolly va donc partir à sa recherche, dans une quête rude et difficile.
Le film nous transporte dans un univers hostile à tous les points de vue. Dans le froid d’un automne précoce ou d’un printemps qui n’en finit pas d’accoucher, avec la lumière parcimonieuse et le froid qui les accompagnent, surgissent des habitations conquises sur la forêt alentour, sans aucun charme, juste fonctionnelles. Les habitants sont à l’avenant, hommes barbus aux cheveux blanchis avant l’âge, femmes sans coquetterie, aux traits creusés. Nous sommes dans une sorte de quart-monde, à l’écart de la civilisation rayonnante de l’Amérique, face à des perdants du système, qui essayent de faire leur vie à l’instar des trappeurs des origines. Nous sentons qu’ils boivent et fument beaucoup, s’adonnant à ces drogues qui leur permettent de supporter leur existence.
L’enquête de Ree Rolly va nous révéler davantage sur ce monde à part. Notamment l’existence de clans dont l’honneur doit être défendu quitte à tuer quelqu’un du clan opposé. Car au travers du film se laisse voir peu à peu une cartographie de forces en présence, prêtes à en découdre, d’un côté la famille de Ree Rolly (son oncle par exemple) et ses alliés, et de l’autre, les adversaires. Ce qui donne lieu à des scènes dures, comme celle où l’héroïne se fait tabasser par des femmes de l’autre bord. Car elle va mettre à jour un conflit ancien qui se poursuit, adossé à une omerta presque infaillible.
L’univers du film est rude, nous l’avons dit. Impression encore renforcée par la parole des protagonistes. Econome et tranchée, elle est âpre en ne disant que l’essentiel. Femmes et hommes parlent de la même manière, sans possibilité pour le langage de prendre sa place de médiation et d’apaisement ; il n’est qu’outil réduit à sa plus simple expression, à l’instar des habitats ou des vêtements des personnages. Nous sommes dans une oeuvre qui va à l’essence, presque à l’os, aurions-nous envie de dire, dans toute la dimension dérangeante que cela peut induire.
Il y a, heureusement, des gestes de solidarité vers l’autre, qui apportent un peu de lumière dans le récit. Cette voisine qui apporte de la nourriture à Ree Rolly, ces femmes, adversaires pourtant, qui l’aident à trouver la solution à son dilemme, cet ami de son père qui lui apporte de l’argent. Et surtout cette vie de famille que l’héroïne essaye de maintenir malgré tout, cuisinant des cookies, apprenant à son frère et à sa soeur à se servir d’une arme ou à cuisiner le gibier. C’est une jeune fille qui a déjà franchi les portes de l’âge adulte. A cet égard, la scène où elle cherche à s’enrôler dans l’armée est bouleversante : face au recruteur, qui lui oppose qu’elle n’a que dix-sept ans, nous voyons une femme qui a déjà tellement vécu, hors des critères de cette société américaine qui cherche des recrues. Un décalage essentiel.
Pour incarner cette adolescente, il y a Jennifer Lawrence, qui a ensuite crevé l’écran dans « Hunger games ». Elle est ici déjà tellement reconnaissable dans sa manière d’incarner le courage et l’esprit de décision que rien n’arrête. Elle m’avait déjà impressionnée dans le film cité ci-dessus, et elle est ici excellente dans l’incarnation de ce personnage complexe.
C’est donc un film à voir, vous l’aurez compris.
FB