Cinéma – Destin CRETTON : States of Grace (2014)

Mason et Jayden

Mason et Jayden

Grace et Marcus

Grace et Marcus

Voilà un film délicat et d’une grande finesse. Ces quelques mots résument bien l’impression laissée par ce moment que nous passons en compagnie de Grace, chef d’un foyer pour adolescents et des personnes qui l’environnent. Aidée de quelques collègues, elle fait face quotidiennement à un océan de détresses, colères, angoisses de la part de ces jeunes, enlevés à leur famille suite à mauvais traitements et attendant d’être placés dans une famille d’accueil. Nous sentons d’ailleurs fort bien, et c’est une des forces de cette chronique, que tous vivent au jour le jour, les adolescents parce qu’ils ne peuvent construire de projet, en suspens entre deux moments de vie, et les éducateurs parce qu’ils savent que tout peut basculer d’un moment à l’autre dans ces vies brisées. Tel cet adolescent qui sort en hurlant de la maison, en pleine crise et est maîtrisé à grand peine par trois adultes. Ou cet autre qui commet une tentative de suicide. Ou encore cette jeune fille qui se scarifie avec ses ongles.

Tout cela, qui paraît fort dramatique, est amené par petites touches subtiles dans cette vie commune au quotidien, qui prend parfois des allures presque normale. Les fouilles des chambres, qui ne sont jamais fermées, la confiscation des objets tranchants, la distribution des médicaments, moments dignes d’un univers concentrationnaire, sont adoucis par l’implication de Grace et de son équipe, qui parviennent, tour de force extraordinaire, à garder leurs distances tout en restant en proximité des jeunes. Nous comprenons mieux la difficulté pour trouver cette posture au travers de la description du personnage de Nate, nouveau venu dans l’équipe au début du film, étudiant qui veut faire du terrain et ne cesse d’être décalé par rapport aux autres. C’est un monde clos sur lui-même, avec ses propres règles de fonctionnement, certaines claires et affichées et d’autres implicites. Les adolescents sont également dépeints sans manichéisme. Les scènes spectaculaires auxquelles j’ai fait allusion au paragraphe précédent ne sont qu’une partie de ce qui se joue là, dans un relationnel décrit avec un naturel confondant. Et, chose très émouvante, nous voyons ces adolescents, malgré les airs de dur qu’ils peuvent se donner parfois, redevenir souvent des enfants et retrouver une sorte d’innocence (les adultes aussi d’ailleurs).

La pierre angulaire de cette communauté, c’est Grace, jeune femme décidée et énigmatique. Au début du film, nous la voyons pleine de force et de sérénité, mener tout de main de maître. Elle vit avec Mason, son collègue, très amoureux d’elle et semble avoir un équilibre à toute épreuve, même si quelques infimes failles surgissent ça et là. Arrive dans le foyer Jayden, une jeune fille intelligente, fermée et presque agressive. Tout dérape alors pour Grace. En aidant cette adolescente à creuser en elle, elle va peu à peu se dévoiler à elle-même dans ses secrets les plus intimes. Et c’est bouleversant.

Cela nous ramène à l’ambiguïté du titre, qui peut signifier « les états de Grace » ou « états de grâce ». Et le film est tout cela à la fois. le chemin initiatique de cette jeune femme et un récit en équilibre fragile et magnifique.

Ce film nous parle de survivance, de résilience. Grace, Mason, Jayden et beaucoup d’autres ont subi des choses qui ne peuvent être racontées. Et pourtant, ils vont, chacun à leur manière, s’accrocher à la vie.

Les acteurs font vivre leurs personnages avec un vrai naturel. Ce qui est la preuve à la fois d’une excellente direction d’acteurs et de talents individuels indiscutables. Je distinguerai particulièrement Keith Stanfield, alias Marcus dans le film, qui incarne un jeune homme de dix-huit ans sur le point de quitter le foyer, avec ses doutes sur le fait de retrouver sa vie ; le rap improvisé dans sa chambre avec Mason est un moment d’une force presque insoutenable.

Je recommande fortement ce film

FB