Attention, végétariens et autres végétaliens, s’abstenir ! Cette oeuvre parle de viande, de barbaque, de bidoche, de chair sanguinolente… Une plongée au coeur de la chaîne de production de filet mignon, souris, araignée, palette, rognons, foie de veau et autres entrecôtes que nous affectionnons tant, pour la majorité des carnivores que nous sommes.
C’est un livre sur la recherche de l’absolu au travers d’une passion. Pim, dont nous suivons l’histoire, commence, un peu par hasard, comme apprenti boucher dans les Côtes d’Armor et, focalisé sur son intérêt grandissant pour son métier, en fait une vocation par pragmatisme. Jusqu’à en oublier tout le reste ou à le soumettre à son seul centre d’întérêt (merveilleux passages sur les rencontres rapides avec des femmes, pour lesquelles cuisiner une pièce de viande est plus important pour lui que de leur faire l’amour, et dont il parcourt le corps en nommant les pièces de boucherie, comme une amoureuse révision de ses acquis, une carte du tendre professionnelle).
C’est un livre court (165 pages) et vigoureux. Un livre sur un sujet masculin, qui déploie en même temps une sensualité toute féminine. Le héros lui-même est partagé, sans état d’âme devant ces bêtes qui meurent pour lui procurer son métier (devant la vie en général ?) et à la fois pris de crises de larmes intempestives, sans cause particulière. « Pim prend toutes les formes, épouse tous les reliefs, tout lui convient, tout lui plaît, tout l’embrase, mettez-lui un outil entre les mains, un couteau à dénerver ou une fourche et voyez son ardeur, voyez comme il jubile, d’une folie contenue cependant, en sourdine, uniquement trahie par la répétition galvanisante de ses actes. Pim est un jeune homme opaque, une mer tranquille, Pim est un homme d’action, une somme de gestes. Si quelque chose vient des profondeurs ce sont les larmes et rien d’autre. Si quelque chose affleure, éclate, transforme son visage, ce sont ces larmes illisibles mais concrètes ». C’est exactement ainsi que nous voyons ce personnage qui trouve sa voie dans une succession d’actes, sans donner l’impression de les réfléchir. Le seul être avec lequel il entame au fil du livre un dialogue, muet par essence, est la vache « Culotte », qu’il cherche à comprendre et en l’honneur de laquelle il accomplira un geste absurde à la fin de l’ouvrage. C’est un solitaire qui s’accomplit dans la voie qu’il s’est choisie, la boucherie, et nous suivons sa trajectoire opaque, inexpliquée et pourtant évidente.
Tout cela servi, comme chez un certain nombre d’auteurs français actuels (un grand merci à eux !) par une écriture précise et précieuse, dans le bon sens du terme. Qui alterne le style factuel presque dépouillé avec la débauche la plus somptueuse dans certaines descriptions bouchères (j’ai pensé à Emile Zola pour ses pages sur les tissus, dans « Au bonheur des dames »).
De tout cela ressort un livre un peu mystérieux, dont nous avons l’impression de ne pas comprendre certains arcanes cachés, embrumé d’une beauté étrange. Comme si l’auteur et son héros nous laissaient parfois sur le bord de la réalité de l’histoire, seuls avec notre imaginaire. D’une matière a priori peu propice à cela, la viande, Joy Sorman arrive à faire naître une poésie qui nous poursuit longtemps après avoir fermé l’opus. Sa formation de philosophe contribue sûrement à cette subtilité et à cette profondeur : extraire d’une histoire banale a priori une quintessence ontologique, nous ramenant à l’affrontement désormais codifié de l’Homme à la Nature et à la description d’un personnage plus profond qu’il n’y paraît au premier abord.
Je vous incite à le lire.
FB