Peintre français (ou plutôt franco-hongrois), actif à une époque cruciale pour la peinture, soit à partir des années 1950 (ou plutôt période qui paraît charnière vu de nous, qui avons peu de recul…), Simon Hantaï a été pour moi une belle découverte, lors de la rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou cet été.
Dans les espaces aérés, calmes et propices à la contemplation du Centre national d’art moderne, son oeuvre pouvait prendre toute sa place sur les murs blancs dans une scénographie dépouillée, telle que cette institution sait les produire. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, je trouve que ces grandes salles où rien n’accroche l’oeil que les oeuvres, suffisamment loin les unes des autres pour laisser au regard le temps de les passer en revue en tranquillité, sont une bénédiction pour le visiteur ; et que cela peut être déterminant dans l’appréciation que l’on porte sur l’artiste ensuite. Il est dommage que cela soit le plus souvent réservé aux oeuvres contemporaines, sûrement en raison de leur taille et sûrement aussi pour leur donner un écrin qui rappelle leur modernité : quoi de plus adapté à ce que nous supposons être la contemporanéité que ces grandes surfaces de couleur neutre ?
Ainsi, cette mise en scène qui s’effaçait devant les peintures, souvent immenses de Simon Hantaï, m’a probablement permis de prendre la mesure de son oeuvre d’une manière privilégiée (surtout si l’on ajoute que fin juillet, les parisiens étant absents et les étrangers plutôt attirés par les collections permanentes des musées, les circonstances de ma visite étaient plutôt exceptionnelles).
La première chose que permet de saisir cette exposition est le chemin parcouru par l’artiste. Un chemin cohérent, qui avance sans faillir, empruntant aux multiples tendances qui l’entourent ce qui l’intéresse et correspond à sa représentation de la peinture. Bien sûr, le parti-pris chronologique fait beaucoup, mais également les explications claires et précises qui nous mènent de salle en salle. Et nous voyons un peintre en train de se créer lui-même à travers de ses productions successives, ce qui est fascinant. Faire découvrir l’oeuvre d’un artiste d’une manière accessible et subtile devrait être l’objectif de tout commissaire d’exposition et ce n’est malheureusement pas toujours le cas, des accrochages d’oeuvres juxtaposées sans lien visible tenant parfois lieu « d’exposition ». Ici, le parcours est limpide.
Nous découvrons un peintre qui se cherche, d’abord, au travers des multiples mouvements de l’après-guerre (Jackson Pollock et George Mathieu, cités par l’exposition sont faciles à identifier, même si la peinture est moins brute et fiévreuse que celle de Pollock et moins spectaculaire et décorative que celle de Mathieu). Un moment tenté par le Surréalisme, à la dureté duquel il ajoute l’acidité des couleurs (voir « Femelle Miroir II » ci-dessous), il s’inspire de toute l’effervescence qui l’entoure où il trouve un appui pour créer sa signature personnelle.
Les premières oeuvres personnelles sont tout de suite impressionnantes. A Galla Placidia et Peinture (Ecriture rose) sont d’immenses toiles auquel le peintre a consacré une année, travaillant à l’une le matin et à l’autre l’après-midi, les couvrant de mille signes, écriture ou « petites touches réveil ». Cela m’a beaucoup fait penser à Anselm Kiefer (voir article sur le blog), dans le mélange de mysticisme (les écritures qui emplissent « Ecriture rose » sont extraites de textes religieux ou philosophiques, « A Galla Placidia » fait référence aux mosaïques byzantines de la ville de Ravenne) à un travail sur l’innovation technique picturale.
Viennent ensuite l’ensemble des toiles qui sont les plus représentatives du peintre. A partir des années 1960 et jusqu’à la fin, il va expérimenter le fait de plier les toiles pendant le processus de peinture, ajoutant sa touche avant, pendant et/ou après pliure du support. Il s’agit bien ici d’oeuvres abstraites, qui ne s’essayent pas à représenter le réel, mais plutôt à travailler sur la texture et la couleur (bien que le motif ne soit pas absent). En cela, Simon Hantaï rejoint d’après moi Mark Rothko (1903-1970) et Pierre Soulages (né en 1919) dans leurs recherches. Combinant le hasard de sa technique et un important travail de recomposition, l’artiste crée des toiles belles et profondes, saturées de couleurs au départ, et qui s’épurent au fil du temps pour devenir parfois monochromes.
S’enchaînent ainsi la série des Mariales, les Catamurons (nom d’une maison de vacances), les Panses, les Meuns (village où s’installe le peintre peu avant 1970), les Etudes, les Blancs et les Tabulas. Vers la fin, le peintre, comme pour ne garder que l’essence de son oeuvre, découpe dans ses toiles gigantesques d’autres toiles, les Laissées, qui deviennent elles-mêmes d’autres oeuvres.
Autant de surfaces de couleurs et lumière travaillées ensemble, qui nous renvoient une poésie à l’origine cachée, que nous percevons, beauté apaisante et manifeste.
C’est un peintre à découvrir, si vous ne le connaissez pas.
FB