Voilà un livre peu commun dans le paysage littéraire. Il traite en effet du monde de l’entreprise, champ peu investi par les auteurs français, que ce soit en littérature, au cinéma voire en peinture. Alors que le thème est omniprésent dans notre vie quotidienne, du fait que la majorité d’entre nous exerce un emploi salarié, et central dans les préoccupations citoyennes et politiques, il est à peu près ignoré par les romanciers. Je ne parlerai pas des philosophes, psychologues et autres ethnologues, qui après avoir laissé longtemps le sujet en friche – à l’exception des auteurs communistes, dans la lignée de Marx – s’en préoccupent plus ces dernières décennies.
Difficile, il faut le dire, de lire une oeuvre française de fiction centrée sur le monde du travail. Pour ma part je peux citer les livres de Franz Kafka (mais cela date un peu), très récemment le livre de Leslie Kaplan (voir sur le blog), puis quelques autres et c’est bien tout.
En cela le livre est intéressant en soi. L’auteur, Tatiana Arfel, jeune femme psychologue, connaît bien ce milieu (travaillant moi-même dans les ressources humaines d’une entreprise, je suis à même de m’en rendre compte).
Forçant le trait (parfois à peine, malheureusement), sur certaines pratiques, elle nous plonge au coeur de « Human tools » (sic), société florissante qui a perdu son âme pour faire du profit à tout prix. Les salariés y sont instrumentalisés et doivent se couler dans le moule (je choisis cette expression à propos) sous peine de perdre leur emploi. Et bien sûr, comme un licenciement coûte trop cher, il faut pousser les récalcitrants à démissionner ou à commettre une faute.
Nous allons suivre les aventures de Catherine, Rodolphe, Francis, Sonia, Marc et Laura, qui, chacun à leur façon, ne sont plus conformes avec les ambitions de l’entreprise. Enrôlés de force dans une formation de type lavage de cerveau, menée par Denis, comédien recruté pour l’occasion, lui-même manipulé par Sabine, une directrice des ressources humaines sans scrupules, ils vont se soumettre, se révolter et, et…. Je ne vous dirais pas la fin.
Comme dit précédemment, l’auteur est familière de ce qui peut se passer en termes de gestion des ressources humaines en entreprise. Nous y retrouvons son vocabulaire spécifique – abscons pour qui ne fréquente pas ce monde – recadrage, optimisation, fiches de postes, auto-évaluation, training, séminaire, qualité totale, cost-containment, turn-over… Et les situations de travail sont fort vraisemblables, également, dans toute leur dureté. Que dire de ces hôtesses, qui restent des journées entières à attendre les visiteurs, souvent debout, sur hauts talons ? Et des centres d’appels, ces nouveaux enfers modernes, où il s’agit le plus souvent de répondre à un client mécontent, en gardant le sourire, lors d’une conversation minutée, et cela plusieurs dizaines de fois par jour, pour un salaire de misère ? Et des seniors qui coûtent trop cher (et qui également ne conviennent plus à ce monde obsédé par le « jeunisme ») ? Tout cela est présent dans le livre, qui donne à voir ainsi les facettes les plus dures du monde du travail actuel.
Mais pourquoi tant de manichéisme ? Au sein de « Human Tools », les méchants sont vraiment méchants et les gentils vraiment gentils, un peu comme dans Walt Disney. D’un côté les bourreaux, comme le P.D.G., Frédéric et la Directrice ressources humaines, Sabine et de l’autre les victimes, citées plus haut. Pas de milieu et peu de nuances. Les personnages, de plus, sont mono-blocs et n’évoluent pas fondamentalement au gré de l’histoire. Nous sommes comme devant une peinture du XVe siècle, avec l’enfer d’un côté (horrible jusqu’à la caricature) et le paradis de l’autre. De purgatoire, nenni.
C’est le reproche, qui n’est pas mince, que je ferais à ce livre et qui a gêné ma lecture du début à la fin, trop de caricature sur un sujet fort bien trouvé et qui pouvait donner lieu à une oeuvre fort intéressante.
Dommage…
FB