Je viens juste de voir un film très surprenant et je ne peux m’empêcher de vous livrer à chaud mon ressenti, plus que positif. C’est le premier film d’un trentenaire new-yorkais et de sa communauté, « Court 13 » qui rassemble des musiciens, des techniciens de cinéma… Primée au festival de Cannes (Caméra d’or), au Sundance fim festival (Grand prix du jury), au festival du film américain de Deauville (Prix de la critique internationale), l’oeuvre le mérite.
Le scénario est à la fois simple et pas si simple que cela. Une petite fille « Hushpuppy » (le hushpuppy est un beignet de maïs frit servi notamment en accompagnement de poisson-chat) vit avec son père dans le bayou, en Louisiane, supposons-nous (ce qui est confirmé par les événements ultérieurs). Sa mère est partie depuis longtemps et elle et son père ont instauré un équilibre de vie un peu loufoque : elle vit dans un endroit et lui dans un autre, lieux précaires de presque quart-monde, perdus au milieu de la végétation et des marais. Autour d’eux gravite une faune tout droit sortie des romans de James Lee Burke(1), des déshérités de tous âges qui forment une communauté d’entraide. Survient une tempête qui inonde leur « bassin » et va resserrer cet ensemble humain.
Tous ces personnages, peu dessinés pour la plupart, sont là pour mettre en valeur les deux héros de l’histoire, cette petite fille (5/6 ans ?) et son père qui nous donnent à voir cette histoire d’amour étrange et mystérieuse. Sans aucune mièvrerie existe devant nous ce lien abrupt qui unit les deux protagonistes. Les premières scènes, rudes, pourraient même laisser à penser à de la maltraitance. Et puis non. Au fur et à mesure du récit, nous voyons éclore dans cette gangue rugueuse de vrais sentiments de père et de fille. Sur un mode original et plein de finesse, le cinéaste restitue l’amour qui les unit, à travers la volonté du père à apprendre la survie à sa fille, parfois comme si elle était un garçon (« Who’s the man ? I am the man – dialogue du film). Et nous suivons, captivés, cet apprentissage plein de maladresses, où il apprend à Hushpuppy comment pêcher un poisson à mains nues et l’assommer, comment casser en deux un crabe sans couteau, ou boire comme un homme. Cet homme, malade, essaye de transmettre l’essentiel à cette petite fille immergée (c’est le cas de le dire ;-)) trop tôt dans le monde des adultes. Il lui apprend à être forte (à ne pas pleurer, par exemple). Et c’est magnifique.
Il faut faire absolument mention de l’atmosphère du film, dans toute sa particularité. J’ai lu que le réalisateur appréciait Emir Kusturica et son cinéma déjanté et tendre à la fois (que j’adore également). Si l’on retrouve ces mêmes attributs ici, le film est pourtant différent. Plus onirique, moins outrancier, oscillant entre le rêve et la réalité abrupte, il veut rendre l’imaginaire de cette petite fille, ses espoirs et ses peurs. Témoin, ces scènes hallucinantes où l’on voit de faux aurochs (des cochons sauvages grimés) courir au ralenti, comme s’ils la pourchassaient… C’est un film sérieux où perce une drôlerie bizarre, une loufoquerie retenue qui anime l’ensemble des scènes, pareille à un filigrane. Plein de bonté aussi, pour cette petite communauté engloutie par une inondation et qui veut rester entre soi, dans ce pays à la dérive.
Tourné en Géorgie, le film est censé se passer en Louisiane et rappelle, bien sûr, Katrina et ses dévastations. Sans en faire un argument politique, juste comme un arrière-plan qui donne à l’histoire une sorte de pesanteur et l’arrime au présent.
Les deux acteurs principaux, père et fille, sont excellents, avec une mention spéciale à Quvenzhané Wallis qui incarne Hushpuppy. Butée, tendue vers son but, pleine de sensibilité quand il le faut, elle est vraiment impressionnante. Et très belle.
Il faut voir ce film, qui est une oeuvre vraiment originale et réussie.
FB
(1) Auteur américain de romans policiers situés en Louisiane, excellents.