Pékin – Tong Yu (1900-1983)

Au centre de la capitale chinoise, non loin du Parc Chaoyang, se trouve le Musée du dessin de Pékin 北京画院美术馆, un petit musée moderne et raffiné, qui présentait la semaine dernière deux expositions, dont l’une consacrée à Tong Yu, un architecte chinois qui a rendu compte de son voyage en Europe en 1930 dans des aquarelles de toute beauté.

Né au début du siècle dernier, il a d’abord étudié à l’Université Qinghua (Tsinghua en transcription française), une des plus prestigieuses de Chine, avant de partir en 1925 aux Etats-Unis, pour passer un diplôme d’architecte à l’Université de Pennsylvanie. C’est là qu’il va notamment apprendre la technique de l’aquarelle.

Je ne sais pas grand chose d’autre sur sa vie, mes collègues chinois ne le connaissaient pas non plus (et ont même eu du mal à déchiffrer le caractère de son prénom, Yu), même si les cartons de l’exposition parlent de lui comme l’un des quatre maîtres de l’architecture (avec les nommés Liang Sicheng, Yang Tingbao et Liu Dunzhen).

Son périple s’inscrit dans la tradition de ce que l’on appelle le « Grand Tour ». Né au XVIIe siècle en Europe, il consiste pour les artistes à voyager sur le continent pour faire leur apprentissage. C’est par exemple dans cette optique que Louis XIV crée en 1666 l’Académie de France à Rome (la Villa Médicis deviendra un passage obligé pour les artistes des siècles suivants).

La Villa Médicis à Rome
Tong Yu – Le Colisée (1930)

Aux XVIIIe et XIXe siècle, ces voyages initiatiques prennent de l’ampleur, nous pouvons croiser bien des artistes sur les routes, Casanova et plus tard Chateaubriand, Lamartine ou Flaubert. Des architectes réputés entreprennent eux aussi ce type de périple, Le Corbusier (1887-1965), par exemple, qui sillonne l’Europe entre 1907 et 1911, ou, plus près de nous, l’architecte japonais Tadao Ando, né en 1941 (que nous connaissons en France pour sa rénovation de la Bourse du Commerce, abritant la Fondation Pinault et inaugurée en 2021).

Tong Yu est l’héritier de cette tradition, il va d’ailleurs réaliser le trajet typique emprunté par ses prédécesseurs européens, Angleterre, France, Allemagne, Suisse, Belgique, Italie, en mettant ses pas dans les leurs avec un mimétisme qui ne peut être une simple coïncidence.

La carte de son voyage, excusez la pauvre qualité du cliché

Il a donc choisi de faire un voyage d’apprentissage, loin d’un tourisme distrayant (nous espérons qu’il a aussi pu goûter la vie quotidienne des endroits qu’il a traversés), pour en apprendre plus sur l’architecture de ces pays bien loin de sa culture.

Il va passer quatre mois à parcourir le vieux continent, nous livrant des aquarelles magnifiques réalisées au long de son périple, pour saisir les architectures les plus exceptionnelles qu’il a rencontrées, aussi bien anciennes que modernes.

Royaume-Uni

Cathédrale de Gloucester, Angleterre

C’est un homme d’une grande culture, nous le voyons dans les choix des bâtiments, comme par exemple celui ci-dessous, le « Magasin d’antiquités », éponyme du roman de Charles Dickens publié en 1841, qui est matérialisé dans cette maison un peu moyenâgeuse du centre de Londres.

Je viens de lire le roman, j’ignorais que la maison existait vraiment, belle découverte

Il fait un détour par l’Ecosse et nous montre sa capacité à saisir les atmosphères différentes des contrées qu’il traverse. Il délaisse ici l’aquarelle pour du fusain avec rehauts de blanc, qui nous dit bien la dignité parfois bien triste de la capitale, quand le temps est à la pluie (ce qui, pour un habitant de Pékin, habitué à la sécheresse, doit être un choc d’autant plus grand).

Pont sur la Water of Leith, avec le Château en arrière-plan

France

Notre voyageur a été apparemment fasciné par les joyaux de l’architecture gothique que sont les cathédrales. Au fil de son pinceau, il en restitue les lignes de force dans des teintes grèges et noires qui accentuent leur apparence sculpturale.

Ai-je besoin de la nommer ? Notre-Dame de Paris
Cathédrale d’Amiens
Cathédrale de Reims

Et son style se fait plus léger, presque transparent, pour décrire le Jardin des Tuileries.

Allemagne

Il poursuit ici sa quête des cathédrales gothiques (et Dieu sait qu’il y a de quoi faire !), avec toujours ce regard acéré d’architecte sur les structures de ces édifices. Notons qu’il y a ici des humains qui s’invitent dans sa vision des monuments, comme une foule qui habite l’espace, joyeuse et insouciante.

Eglise Saint-Nicolas de Francfort
Cathédrale Saint-Martin de Mayence

En Allemagne, il croque également d’autres bâtiments, tel cet aigle surmontant un bâtiment de Cologne, rendu à grands traits de fusain, tout en noirceur, comme une prémonition de l’avenir proche.

En Allemagne, il s’intéresse également aux bâtiments modernes, tel cet édifice de Cologne ou encore ce siège d’entreprise à Stuttgart, pour lequel il n’emploie que du crayon gris pour mieux montrer la modernité du bâtiment.

J’ai particulièrement aimé cette aquarelle de Dresde, où la ville, cernée par la neige dans le ciel comme sur le sol, prend une teinte d’un gris métallique à peine réchauffée par les tuiles des toits.

Autriche

Cette peinture – pour une fois l’artiste a délaissé son aquarelle de prédilection- est sculpturale, nous y sommes, dans ces ruelles où le soleil rare dessine de franches démarcations entre ombre et lumière. Magnifique.

Suisse

Passage obligé depuis plusieurs siècles pour les riches voyageurs qui pouvaient faire un périple en Europe, le Col du Saint-Bernard est ici rendu dans toute la rudesse de sa nature, où la neige des montagnes environnantes s’affronte au renouveau de la nature dans cet été 1930.

Italie

Pour dépeindre l’Italie, l’auteur revient à ses teintes douces, qu’elles soient de jour ou de nuit, nous entraînant dans la beauté mystérieuse de ce pays.

Piazza della Signoria – Firenze

Je termine par l’une des plus belles images que j’ai vues ici, ce coucher de soleil vénitien sur le Pont des Soupirs.

Incroyable beauté de cette aquarelle

C’est comme un voyage à l’envers qu’a fait cet homme par rapport à celui que j’ai réalisé en m’expatriant en Chine, découvrir d’autres cultures en essayant (modestement) de se les approprier. Ce décalage, presque en miroir, m’a fascinée.

FB