Chine – Shenyang (2023)

Au nord de Pékin, la province du Liaoning (辽宁, soit « Liao tranquille », du nom du fleuve qui la traverse) borde la Corée du Nord, c’est la plus méridionale des trois provinces septentrionales de la Chine, cernée au nord par les provinces du Heilongjiang (黑龙江, « Rivière du dragon noir », j’adore ce nom) et de Jilin 吉林 (nom d’origine mandchoue qui signifie « Le long de la rivière »). J’avais déjà fait une incursion dans le Heilongjiang pour voir Harbin, sa capitale, célèbre pour ses expositions de sculptures de glace et de neige en hiver et très intéressante pour les influences russes qui la parcourent (voir ma chronique sur ce blog).

Lors de mon voyage, à l’orée de l’été, pour aller voir Dandong, cet improbable poste frontière avec la Corée du Nord (voir article sur ce blog), je me suis arrêtée à Shenyang 沈阳 (littéralement « Rive yang de la rivière Shen »), la capitale de la province, qui compte 9 millions d’habitants ou 23 millions, selon que l’on compte ou non la conurbation ; une ville à peine grande, en somme, selon les normes chinoises.

A l’instar de toutes les régions frontalières de par le monde, cet ensemble de provinces a été parcouru de bien des influences venues d’ailleurs, Japon, Russie, Corée au premier plan.

La gare, j’hésite entre influences turque ou russe
Et au sortir de la gare, me voici presque à Amsterdam

C’est également ici que se trouve un des lieux importants du peuple Mandchou 满洲, autrefois bien célèbre, et qui représente aujourd’hui une des 55 minorités en Chine, forte d’à peine 10 millions d’habitants. Il a fait irruption dans l’histoire du pays au XVIIe siècle et est à l’origine de la dernière dynastie régnante, celle des Qing (1644-1912). Les monuments de la ville sont empreints de cette double influence, Han et Mandchou.

Le site le plus prestigieux ici est le Palais Impérial, dit Palais de Mukden du nom ancien de la ville, une petite Cité interdite nordique construite par les Mandchous au XVIIe siècle, avant leur victoire sur la dynastie Ming. Je dois avouer que c’était ici le but principal de mon voyage, je m’y suis rendue avec un plaisir anticipé de voir ce site, j’ai déchanté devant la foule (il fallait faire la queue pour franchir les différentes portes) et rebroussé chemin, même si tout cela avait l’air bien beau (s’il y a trop de monde, je n’arrive pas à profiter même du plus bel endroit).

Une des seules photos que j’ai réussi à faire sans la fouleAvec quand même les pointes de drapeaux de guide, je ne suis pas assez grande…

Mais je me suis rattrapée le jour même ! En allant voir les sépultures des deux premiers empereurs de la dynastie Qing.

Mausolée de l’est 东陵 ou Fuling 福陵

Construit en 1629 et achevé en 1651 (puis remanié), le site abrite les tombes du fondateur de la dynastie Qing, Nurhachi (1616-1625) ainsi que de son épouse, Xiaocigao. Il a été classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2004. Il s’étend sur presque vingt hectares.

La porte d’entrée, avec toutes les caractéristiques des portes de temple – J’ai aimé ce petit homme dansant avec son parapluie

Peu fréquenté, il s’ouvre sur une immense forêt de conifères anciens, qui nous font une escorte verdoyante pendant que nous cheminons vers le mausolée. Ils datent pour certains du XVIIe siècle et j’ai aimé me promener dans cette forêt ancestrale qui bruissait de toute son ancienne sagesse dans le bleu du ciel.

Ornée de figures d’animaux, qui forment une voie royale

Vient ensuite un immense escalier bordé de tuiles vernissées jaunes, d’une construction assez unique, qui nous fait gravir 108 marches pour accéder au site proprement dit. Le nombre, qui peut paraître étrange, fait référence à celui des constellations de mauvaise augure, les personnes qui visitaient l’endroit les foulaient au pied pour protéger la tombe. Belle histoire, non ?

En Chine, il ne faut pas avoir peur des escaliers pour voyager…

Le premier pavillon est le Pavillon des stèles, bâti en 1688, qui abrite une stèle (nous nous en doutions), dite Shengongshengde 神功圣德, ornée d’écrits de l’Empereur Kangxi (le troisième empereur de la dynastie) pour rappeler les hauts faits de son prédécesseur Nurhaci, en langues Mandchou et Han. Il faut noter que tous les matériaux qui ont servi à construire cet édifice (et les autres) ont été transportés par les hommes, les animaux étant considérés comme trop impurs pour pénétrer le site… Nous pouvons imaginer le temps qu’il a fallu pour tout construire (la stèle pèse à elle seule 10 tonnes). C’est une épopée architecturale à laquelle nous sommes conviés, un peu à l’instar de celle de l’érection des Pyramides d’Egypte.

Avec toujours ces pins majestueux quiornent le site
A l’intérieur, la tortue-dragon qui supporte la stèle

De part et d’autre, des pavillons presque identiques sont dédiés à la préparation du rituel d’hommage à l’empereur, qui seront complétés par d’autres édifices similaires à l’intérieur de l’enceinte, disposés eux aussi le long de l’axe central. Les noms sont poétiques, la salle des ablutions, la salle du thé, la cuisine, la salle des fruits ou la pâtisserie et démontrent un ordre clair entre les différentes étapes du rituel funéraire.

Un exemple de ces bâtiments

Nous arrivons ensuite à l’entrée de la sépulture, un ensemble rectangulaire enfermé dans de hauts murs de pierre (5 mètres de haut), sur lesquels un chemin de ronde permet de faire le tour du site. Il reste ici quelque chose de sacré, vous vous sentez comme conviés dans un endroit extraordinaire, comme un privilège de pénétrer un lieu plein de l’intimité du défunt.

La porte d’entrée vers le site
Première vision depuis la porte, cela a l’air immense
Ce que confirme la perspective, une fois passé la porte

En comparaison avec le Palais Impérial, il n’y a pas foule, et cette solitude inattendue invite à la contemplation. Peut-être parce que ces constructions ont été réalisées selon les règles du Fengshui (风水, littéralement, règles du vent et de l’eau) et de celles de la géomancie chinoise, je ne sais, mais nous ressentons une grande harmonie ici, dans cet ensemble qui mêle les architectures de la dynastie Han des Qing et des Mandchous.

Comme déjà évoqué, il est possible de faire le tour du site, en hauteur, en arpentant un chemin de ronde orné des frondaisons des arbres alentours, dans une fraîcheur bienvenue en cette chaude journée.

Quand les pavillons d’angle jouent à cache-cache

Le bâtiment central, auquel nous revenons après notre périple sur les hauteurs presque quadrangulaires, bien qu’un peu rectangulaires, est le Hall Long’en, où se déroulaient les cérémonies dédiées aux défunts.

Avec des plafonds de toute beauté

A l’étage inférieur, à l’arrière de ce bâtiment, la Porte Lingxing fait comme une transition entre vivants et morts, puisqu’elle ouvre sur la tombe (que je ne verrai pas).

Dans des couleurs tout aussi magnifiques

J’ai ensuite parcouru ce chemin à l’arrière du site, avant de reprendre ma route, pour voir comme l’envers du décor, à l’ombre de tous ces conifères vibrants dans le soleil du presque été.

Mausolée Beiling 北陵 ou Zhaoling 照陵

Situé dans un parc au nord de la ville (d’où son appellation « Beiling », soit « Tombe du nord », autrement nommée « Zhaoling », soit « Tombe de lumière »), le site abrite les sépultures du deuxième Empereur de la dynastie Qing, Huan Taiji (1592-1643) et de son épouse, l’Impératrice Xiao Duan Wen (1599-1649). Il a été construit juste après la mort de l’Empereur, entre 1643 et 1651, au coeur d’un parc qui couvre 33 hectares, une belle exploration en perspective.

La première porte – Quand les lions se mêlent aux roses
Beauté un peu effrayante de ces fauves

Comme pour la tombe précédente, la porte d’entrée représente un seuil entre le monde des vivants et des morts.

Nous retrouvons ces figures et couleurs classiques de l’architecture

Passé la porte, la voie des esprits, d’une longueur d’1,2 kilomètres nous attend. C’est une allée pleine de decorum, qui dit, par sa longueur et le raffinement des sculptures, l’importance du défunt.

Si vous aviez peur de ne pas faire vos 3000 pas quotidiens, pas de problème ici !
Un médaillon de dragon de toute beauté , à la gauche de la porte

De part et d’autre de la voie, les animaux de pierre font une escorte aux visiteurs ; avec le temps, ils se sont comme fondu dans le décor de nature des pins ancestraux. Vous noterez la finesse des ciselures sur les socles. C’est bien agréable de déambuler dans cet espace empreint d’histoire et de sacré.

Un xiezhi 獬豸, animal fabuleux inspiré du lion, capable de distinguer le bien du mal
Un dragon, au creux d’un pin bien ancien
Un cheval bien déterminé
Un chameau, bien loin de sa base dans ces froides provinces du nord
Et un éléphant

Nous arrivons au Pavillon de la stèle du mérite divin. Bâti en 1688, orné de tuiles vernissées jaunes sur deux étages, il abrite une stèle de 50 tonnes, gravées en langages Mandchou et Han.

Orné de ces pins qui m’ont accompagné dans mon cheminement ce jour-là
Nous retrouvons cet animal fantastique, une tortue légendaire appelée Bixi, qui serait l’un des neuf enfants des dragons

Comme dans la tombe précédente, l’allée suivante est bordée de quatre bâtiments identiques qui servent à la préparation des rituels d’hommage aux défunts.

Avec un pin bien courbé par les ans

Nous arrivons à la Porte Long’en, toute de pierre grise, festonnée de tuiles vernissées jaunes et vertes, qui ouvre sur le mausolée proprement dit, supportant la Tour des cinq phoenix, avec son architecture à la fois imposante et légère.

Un passage vers l’au-delà

Et puis, la voilà, la cité carré, c’est le coeur du lieu, où se déroulent les cérémonies.

Au fond le Hall Long’en, l’édifice principal du site où se déroulaient les cérémonies
Au bout d’une allée bien imposante

Là encore, un chemin de ronde de pierres grises savamment agencées, faisant comme des festons dans leur partie supérieure, permet d’avoir une vue en hauteur du site. A chaque angle, de magnifiques édifices aux tuiles vernissées jaune (la couleur de l’empereur), font comme des vigies tutélaires.

Et toujours ces plafonds aux couleurs vives, magnifiquement ornés.

Du Hall Long’en, déjà évoqué, je n’ai pas réussi à prendre de belles photos, vous ne le verrez que de loin dans les clichés précédents, je vous montre ci-dessous une photo de détail, qui montre la superbe charpente de l’édifice.

Quand les lions tutoient les nuages

C’était pour moi une promenade inédite dans ces deux lieux, presque identiques, dans le beau soleil de printemps. J’ai ensuite repris le chemin de la ville, pour retrouver la vitalité de cette cité cosmopolite.

FB