Je sens bien que même après avoir expliqué ma quarantaine, les Occidentaux ont du mal à percevoir quel est le régime sanitaire mis en place en Chine ; car il est vraiment à l’opposé de ce qui se passe là-bas, en Europe. Je vais peut-être me répéter par rapport à des articles précédents, toutes mes excuses.
Je voudrais donc donner ici quelques éclairages sur ce qui se passe ici.
Tout d’abord, la Chine est soupçonnée d’avoir eu beaucoup plus de morts que prévu au début de l’épidémie et d’avoir caché les chiffres. Nous pourrions peut-être un peu nuancer ce constat. Tout d’abord, le pays a été le premier confronté à cette épidémie, qui en a dérouté plus d’un. Ayant surgi à l’automne 2019, au moment du début des traditionnelles épidémies de grippe, elle n’a pas été identifiée dans son ampleur tout de suite (réfléchissez un peu au déni des médias en France au premier trimestre 2020, j’étais là, je peux témoigner : « Mais non, ce n’est qu’une grippe… Et alors, la grippe espagnole, elle a fait quand même bien plus de morts, non ? »…). Les Chinois ont été pris de court. Et les mesures qui ont été prises ensuite ont été radicales, confinement radical de Wuhan et campagnes de dépistage massives. Alors je sais qu’il y a une bataille de chiffres autour de ce sujet, la Chine aurait caché ses morts, je ne veux pas rentrer dans ce débat, simplement rappeler une juste chronologie des faits.
Car ensuite, ce que je vois depuis mon arrivée début septembre 2020 est plutôt une terreur de la maladie, des forces conjuguées pour l’éradiquer, quitte à verser dans l’absurde et à sur-réagir ; forces conjuguées des citoyens (les malades du Covid19 sont très mal vus, un peu comme les pestiférés du Moyen-Age – d’ailleurs si vous dites ici que vous connaissez en France des personnes qui ont attrapé le Covid19, les gens s’écartent…) et des Autorités locales, qui ne souhaitent pas être le maillon faible par lequel l’épidémie ressurgit. C’est particulièrement sensible à Pékin, centre névralgique du pays, qui renchérit par conséquent sur les autres régions. Et toutes ces mesures, dont je vais citer certaines, ne me semblent pas compatibles avec une mortalité de masse ; peut-être qu’au début tout a échappé aux autorités, au vu de la nouveauté de la pandémie, mais tout a été (vraiment) repris en main depuis.
Le pays a mis en place une bulle de sécurité. N’importe qui qui entre le pays doit se soumettre à une quarantaine ; elle était de 14 jours mais est passée à 21 jours à Canton et Pékin, deux des trois villes qui permettent d’arriver ici par avion, elle reste jusqu’ici de 14 jours à Shanghaï. De plus, les quarantaines peuvent s’ajouter (très rarement se déduire 🙂 ), par exemple une des personnes qui est restée avec nous 14 jours à Tianjin a dû refaire 14 jours enfermée à Xian, puisque c’était la politique de la région. Et Pékin a encore ajouté une précaution, aucun avion venant de l’international n’atterrit plus dans la capitale, ils sont déroutés sur Tianjin, à 100 kms de là. J’ai fréquenté l’espace international de l’aéroport de la capitale à mon départ pour la France, je confirme, c’est un endroit fantôme, les boutiques sont fermées, jusqu’aux distributeurs de nourriture et boisson qui ont eux aussi été débranchés, tout est en veille. D’immenses centres de quarantaine sont en cours de construction dans certaines villes, à l’extérieur, car les hôtels étaient trop proche de la population, et Canton espère expérimenter le premier, avec livraison de nourriture dans les chambres par des robots, pour protéger le personnel.
Ensuite, tout le monde doit télécharger une application (ou des applications si l’on se déplace, autant que de provinces), le « health kit », qui trace où vous allez et que vous devez mettre à jour à chaque déplacement. Ce précieux vade mecum vous permet d’entrer dans tous les endroits publics (vous comprenez pourquoi tout le monde ici a une batterie à brancher sur son téléphone au cas où… Car sans health kit vous n’entrez nulle part). Ce mouchard qui vous suit partout permet de repérer les personnes qui auraient frayé avec des cas de Covid19, voire des cas contact. Et si vous avez un code jaune (il est normalement vert, les mêmes références que nous), vous ne pouvez plus que rester à la maison).
Cas contact, parlons-en, ici l’acception est extensive… Par exemple pour un avion venant de l’étranger, outre l’ensemble des personnes à bord, les manutentionnaires qui manipulent les bagages, ceux qui ravitaillent l’avion en carburant, bref toute personne qui touche l’avion est réputée cas contact. Pareil pour les immeubles : une personne atteinte du Covid19 entre dans un building, toutes les personnes présentes en son sein sont cas contact. Ainsi, juste avant mon départ en France, une personne malade est entrée dans un des hôtels près de chez moi et plusieurs centaines de personnes ont été envoyées en quarantaine à l’hôpital manu militari.
Quelques exemples éclaireront mon propos.
Même si vous montrez votre health kit à l’entrée d’un centre commercial, il n’est pas rare qu’une boutique ou un restaurant dans ce centre vous redemande le health kit (alors que vous n’auriez pas pu entrer par un autre endroit). Le plus incroyable que j’ai vécu il y a quelques jours est lorsque nous allions au Bureau de Sécurité Sociale de Pékin, le health kit nous a été demandé à l’entrée de l’immeuble (normal) mais également 20 mètres après : au cas où nous aurions attrapé la maladie dans les 30 secondes qui nous séparaient des deux endroits ? Même mes collègues chinoises ont ri…
Tout cela permet à la Chine de vraiment contenir l’épidémie, en associant une campagne de vaccination très volontaire, mais cela ne rend pas la vie quotidienne facile. Il devient compliqué de se déplacer en Chine, car si l’on croise par hasard un cas contact ou, pire, quelqu’un qui a le Covid19 (c’est une rareté ici, comprenez-le bien), l’on peut se retrouver bloqué à l’endroit où l’on est pour au moins deux semaines. Chaque voyage intérieur devient un pari, vous avez intérêt à vous déplacer avec vos affaires.
Quelques exemples supplémentaires.
Le 20 octobre (10 jours après la fin de ma quarantaine) je suis partie à Kunming dans le Yunnan pour un séminaire qui réunissait des collègues chinois de nos filiales. Une partie d’entre eux avait voyagé sur un vol dans lequel se trouvait un cas contact. Ils ont été « appréhendés » à l’aéroport et envoyés une semaine à l’hôpital, puis ont eu à se confiner une semaine chez eux. Notons que le cas contact était négatif… Ainsi vous pouvez être cas contact de cas contact et écoper d’une quatorzaine fermée. Pour ma part, il m’a été demandé mon certificat de fin de quarantaine pour reprendre l’avion, c’est un moindre mal.
Plus récemment, un cas confirmé est entré dans un hôpital à Pékin le 8 novembre. Je vous livre ici les directives de l’hôpital (sic) : quiconque était dans l’hôpital entre 8h20 et 12h49 le 8 novembre devait s’isoler deux semaines avec tests PCR les 1er, 4e, 7e et 14e jours ; pour ceux qui étaient dans l’hôpital entre 12h50 le 8 novembre et le 10 novembre, deux semaines de suivi de température à la clé.
Tout cela crée une psychose dans les déplacements (et même à l’intérieur de la ville, récemment pour deux « high risk area », comprenez 50 cas, les cinémas, théâtres et musées ont fermé dans deux des districts centraux de Pékin, qui n’étaient pas concernés). Tous les événements importants dans Pékin ont été annulés jusqu’à décembre.
A la longue, car nous n’espérons pas d’embellie avant les Jeux Olympiques, cela aura sûrement un impact négatif sur l’expatriation. Car l’horizon déjà rétréci à la Chine depuis le début de la pandémie tend maintenant à réduire encore leur champ de déplacement.
Pékin est une ville très intéressante, j’espère ne pas m’en lasser…
FB
Merci pour vos nouvelles et informations.
Vous savez comment cela se passe en France. Je me trouve dans une station touristique du bord de la mer en Bretagne- Manche – et tant pis pour le covid, bienvenue aux touristes, on verra bien .. Ce que l’on voit, c’est l’augmentation des cas.
Dans mon immeuble, malgré l’affiche dans l’ascenseur qu’on voit d’ailleurs partout demandant le port du masque avec une belle illustration, je croise des personnes sans masque.
Je le porte dès que je quitte mon appartement, et on rentre chez moi avec des protège-chaussures ( made in China ).
Cependant, j’ai eu un petit covid en février 2021 et je suis donc immunisée naturellement, avec le bon test. J’ai appris à ne pas en parler, car oui… les gens s’écartent, par exemple à l’arrêt de bus !
Nous faisons des provisions. Du riz.
Amicalement- prenez bien soin de vous- et pensez que vous vivez une période historique- peut-être un livre ?
Tout cela me semble très chinois ! Merci francefougere.
Merci. Vos récits sont toujours très riches.
Autre récit édifiant.
Il est intéressant de restituer la chronologie des événements pour comprendre les mesures prises par les autorités chinoises. Toutefois, le manque de collaboration et l’omerta qui règne sur le sujet est plutôt propice à la méfiance, notamment au sujet du nombre officiel de victimes. On a vu la construction d’hôpitaux en temps record, l’effervescence pour juguler l’épidémie et l’affluence des malades dans les services. Difficile de croire que l’issue ne se soit limitée qu’à quelques milliers de victimes.
Mais peu importe, le gouvernement chinois, adepte de la post vérité si chère à Mr Trump, détient sans doute La vérité sur tout cela, et la livrera peut être un jour. En attendant, il faudra se contenter de celle qu’il nous propose.