Exposition : L’éclat des ombres : l’art en noir et blanc des Iles Salomon (Musée du Quai Branly, 2013)

iles salomon

Le musée du Quai Branly, à Paris, présente des collections anthropologiques issues des civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Je l’ai découvert il y a quelques années et je suis tombée sous le charme de ces objets, particulièrement de ceux d’Océanie, et de la muséographie sobre, belle et très pédagogique. Je suis depuis une habituée et j’essaye d’aller voir les expositions proposées, vraiment intéressantes très souvent.

Ce premier janvier, dans une belle lumière qui nimbait la Seine de lueurs oranges, j’ai traversé le pont de l’Alma, en route pour un des seuls musées ouverts dans la capitale. Et j’ai eu la chance de tomber sur une exposition autour des thèmes que j’aime, puisqu’elle s’intéressait aux Iles Salomon.

Tout d’abord quelques repères (si vous êtes comme moi avant la visite, vous en savez peu sur cet archipel…).

Les Iles Salomon se trouvent entre la Papouasie/Nouvelle-Guinée et la Polynésie, dans cet endroit hybride, peuplé à partir de Taïwan vers – 27 000 que l’on nomme la civilisation « Lapita ». Ce sont 900 îles qui abritent près de 550 000 habitants, parlant près de quatre-vingt langues. Découvertes au XVIe siècle par les Espagnols, qui pensaient avoir trouvé de l’or (alors qu’il s’agissait de pyrite) et les ont nommées d’après le riche roi de la Bible. Passées sous protectorat britannique en 1893, elles ont connu le noir phénomène du « Blackbirding » au XIXe siècle, soit la déportation des hommes valides comme main d’oeuvre (30 000 au total) vers l’Australie, les Fidji ou les Samoa. Elles gagnent leur indépendance en 1978, non sans avoir connu une évangélisation « musclée » au début du XXe siècle, qui a mis bas une partie de leurs rites. Notons enfin que le fameux explorateur Lapérouse y a probablement trouvé la mort en 1788.

Le visiteur va alors suivre un parcours thématique pour découvrir (1), au travers des objets montrés, cette civilisation originale. Premier élément fondateur, comprendre que ces personnes vivent dans un monde où le surnaturel est présent sous forme d’ombres, bénéfiques ou maléfiques, avec lesquelles il faut cohabiter. Il faut donc les égaler dans leur force, leur mana (2), et pour cela tuer des ennemis (les habitants de ces ïles pratiquent la chasse de tête ou le meurtre par le biais de tueurs à gages, dans ce but) et s’approprier leurs dépouilles (d’où les colliers de dents humaines portés par les chefs). Les ancêtres sont également respectés et leurs crânes sont conservés et embellis, incrustés de coquillages par exemple.

D’autres rites nous emmènent également bien loin de chez nous. La monnaie coquillage (grandes bandes tressées de coquillages) ou la monnaie de plumes (à partir de plumes rouges entremêlées à des végétaux) en rouleaux, sert à acquérir des biens de valeur comme une femme ou une pirogue. Malgré l’arrivée d’une monnaie plus conforme à notre société actuelle (le dollar), les plumes ou coquillages continuent à être utilisés…

De même les scarifications et tatouages on un sens, ils disent le rang et l’état. Ils évoluent dans le temps, au gré du parcours social de la personne.

Les animaux comptent beaucoup, certains sont révérés, l’oiseau Frégate, grand chasseur, la bonite ou le calao (dont la femelle perd ses plumes au moment de la nidification et donc en parallèle, les femmes enceintes se rasent la tête).

Enfin, quelque chose qui m’a marqué, le fait que les personnes ne soient pas ensevelies après leur mort mais abandonnées à quelque distance, ligaturées, jusqu’à ce que les chairs aient fondu et permettent de prélever le crâne qui sera ensuite embelli et conservé.

Cette découverte d’un univers autre est passionnante, portée par de magnifiques objets, faits de bois, de coquillages, d’os et dents (d’animaux ou humaines), de tissu (très peu de métal), tout en noir, blanc et rouge. Spectaculairement disposés sur un fond noir, ils se découpent dans la lumière comme autant de belles énigmes ; rendons grâce aussi à la mise en scène aéré, qui les espacent les uns des autres pour mieux les mettre en valeur. Et, comme toujours, ils s’accompagnent de vidéos illustratives et de commentaires explicatifs très clairs.

La grande force des expositions de ce Musée (espérons qu’il continuera dans cette voie) est de nous permettre de mettre en perspective notre monde avec un monde différent pour mieux les comprendre tous les deux. Dans notre pays aussi, à une époque ancienne, les animaux avaient une charge positive ou négative, le surnaturel rôdait, des rites avaient cours. Non que je le regrette, je pense seulement que nous ne sommes pas si différents, tout dépend du moment où nous nous plaçons, et que découvrir une autre civilisation nous aide à retrouver les fondements de la nôtre.

J’ajouterai que ce pas de côté vers des moeurs différentes, remises en contexte, est un puissant antidote au racisme. Appréhender l’autre dans son milieu ambiant et en globalité, voilà le projet que nous propose cette si intelligente institution et nous ne pouvons que l’encourager à continuer.

Un grand merci à Magali Mélandri, responsable des collections Océanie, pour avoir organisé cette exposition, qui m’a enchantée à tous les sens du terme.

FB

Une monnaie de plumes

Une monnaie de plumes

Incroyable sculpture d'un requin reliquaire

Incroyable sculpture d’un requin reliquaire (plus de deux mètres de long)

Une figure de proue de pirogue

Une figure de proue de pirogue

Une masse d'armes

Une masse d’armes

(1) Un préalable, j’ai assimilé ici toutes les ïles de l’archipel comme en une seule ; les rituels et usages décrits peuvent n’en concerner que certaines.
(2) A noter en forme de clin d’oeil que le mot « mana » désigne dans nombre de jeux vidéo d’heroic fantasy, la force d’âme ou d’esprit, que l’on doit recharger pour entreprendre certaines actions…