Pékin – Quartier du thé 马连道 (2022)

Je me suis aventurée récemment dans ce quartier de l’ouest de Pékin (pas très éloigné du Temple du Nuage Blanc que j’ai évoqué récemment), qui est spécialisé dans le thé (j’emploie à escient le mot « aventurée » car j’ai décidé que chaque jour de liberté ici serait un jour d’aventure). Dès que vous sortez de la station de métro Wanzi (湾子, station de la courbe, j’adore ces noms) et empruntez la rue Maliandao vers le sud, vous êtes immédiatement transporté dans un autre univers, fait de boutiques spécialement équipées pour vous faire déguster et vous vendre les ingrédients nécessaires à la réalisation de ce breuvage.

Le long de la rue, elles défilent par dizaines, ponctuées de centres commerciaux uniquement dédiés au thé. C’est un quartier monothématique qui est à ce produit ce que Gaobeidian, dans l’est de Pékin, est aux meubles. Nous imaginons bien que dans cette ville immense, il ne faut pas perdre le futur consommateur dans des trajets innombrables, le laisser zigzaguer d’un marchand à l’autre d’un bout à l’autre de l’espace urbain, ce regroupement est finalement assez rationnel, même s’il donne un peu le tournis à la longue.

Ces boutiques sont pour la plupart bien chaleureuses et accueillantes, je dois dire que nous avons été très bien reçus partout. La plupart sont pourtant au premier abord bien désordonnées et remplies de mille choses hétéroclites (bien qu’elles aient toutes une seule finalité, le thé), pour ma part je trouve que cela ajoute à mon envie d’y aller faire un tour.

Une boutique « chic » croisée sur ma route, excusez le reflet malencontreux.
Voilà qui ressemble plus à la majorité des boutiques que j’ai vues, un bric-à-brac de stocks qui semblent à peine arrivés et de produits sur étagères
Une autre de ces boutiques
Ici la boutique de la marque « Palais des thés » à La Rochelle, je vous laisse noter les différences

Pour en revenir aux centres commerciaux auxquels je faisais allusion, voici le plus connu, qui s’appelle, ô surprise évidente, « centre commercial du thé, Maliandao, Pékin ». Devant l’entrée s’élève la statue de Lu Yu, un lettré du VIIIe siècle, fin connaisseur de thé et surnommé « Dieu du thé », nous savons où nous sommes.

A l’intérieur, c’est un peu comme les « Galeries Lafayette » dédiées à un sujet plus noble (joke !), quatre étages dédiés au thé et à ses accessoires.

On ne sait que choisir
On ne sait où aller, heureusement, la flèche verte nous montre la sortie, c’est rassurant

Il faut dire que le thé, dont j’ai lu que c’était la deuxième boisson la plus consommée dans le monde après l’eau (et avant le coca-cola, vous noterez !), trouve son origine en Chine sûrement plusieurs milliers d’années avant notre ère et il prend son essor à partir du VIIe siècle après JC. Autant dire que nous sommes ici dans le saint des saints, à l’épicentre de cette découverte gustative qui va ensuite essaimer dans le monde entier. Le thé a atteint le Japon au IXe siècle grâce à un moine qui avait étudié en Chine, puis l’Europe à bord de navires hollandais au XVIIe siècle. Notons que la Chine est toujours à l’heure actuelle le premier producteur au monde avec près du tiers de la production.

Je confirme qu’il est ici consommé quotidiennement par beaucoup de mes collègues. Ils lui substituent de temps en temps ce que nous appellerions des « tisanes », à savoir des herbes infusées à la manière du thé. Où que vous soyez en Chine, vous verrez les gens se déplacer avec un thermos où infuse quelque chose, du thé, une racine, des herbes, des fruits séchés, ou tout simplement de l’eau chaude réputée excellente pour la santé.

J’avoue être déjà devenue une grande adepte de cette boisson avant de quitter la France, et avoir continué ici, non sans noter bien des différences dans nos pratiques. Ici par exemple, le thé se boit dans de toutes petites tasses et il est très peu infusé, alors que nous avons tendance à privilégier des mugs ou de grandes théières dans lesquels nous laissons les feuilles tremper longtemps. C’est toute une cérémonie que de préparer le thé en Chine et il existe des cours dédiés pour exécuter correctement les gestes finalement assez compliqués qui rythment le processus (lors de notre visite, une participante a priori assez chevronnée a demandé à la guide pourquoi le marchand de thé qui nous faisait la démonstration ne remettait pas le couvercle sur la tasse après avoir remué les feuilles de thé à l’aide dudit couvercle ; j’ai alors compris toute l’étendue de mon ignorance…). Bien loin de notre processus rapide, je fais bouillir l’eau, je mets le thé dedans, je laisse infuser quelques minutes et voilà !

Galettes de thé

Je vais vous entraîner dans d’autres découvertes que j’ai faites ce jour-là. Par exemple, saviez-vous qu’il existe six catégories de thé en Chine ? D’abord, le plus connu, le thé rouge (红茶 hong cha), qui est chez nous le thé noir. Ensuite le thé vert (绿茶 lu cha), le thé blanc (白茶 bai cha), les mêmes que sous nos contrées. Puis un thé assez rare même ici, le thé jaune (黄茶 huang cha), sans oublier le thé noir (黑茶 hei cha) qui comprend notamment le Pu’er (普洱茶, du nom d’un lac de la province du Yunnan) et enfin le thé Oolong (wulong en chinois, 乌龙, le thé du dragon noir), dit aussi chez nous le thé bleu. Tout un arc-en-ciel enveloppe cette boisson millénaire.

Thé en portions individuelles, en forme de carré
Et en forme de sphères

Autre nouveauté pour moi, ces thés, selon la tradition chinoise qui recherche à améliorer ou à maintenir la santé au travers de l’alimentation, doivent être consommés à des époques différentes selon leur catégorie. Ainsi, le thé vert se consomme en été car il rafraîchit le corps, le thé rouge (noir pour nous) est un thé d’hiver qui renforce le système immunitaire face au grand froid. Et si le thé blanc peut être consommé en toutes saisons, il est recommandé de boire le thé Oolong en automne. Enfin, le thé jaune est un thé du printemps ou de l’été.

Tous ces thés peuvent provenir des mêmes arbres, c’est le traitement qui les différencie, il existe toute une science de la cueillette et du séchage qui donne ces différents crûs. Une autre révélation pour moi, je n’aurais jamais dit que toutes ces plantes provenaient du même arbre. Et vous me comprendrez en voyant cette diversité de formes que je vous livre ici (sans parler des odeurs et goûts que je ne puis restituer ici).

Feuilles vertes et bien plates du Thé vert de Longjin, province du Zhejiang
Petits accroche coeur du Thé vert Lu Shan Yun Wu
Beauté transparente des infusions
Couleurs mélangées du Thé au jasmin 花茶, emblème de Pékin
Apparence terreuse du Thé blanc avec grandes feuilles
Evidence du Thé blanc avec épines
Echèvelement du Thé Oolong
Lapsang souchong, thé noir et finalement multicolore
Thé Pu’er de trente ans d’âge comme des grains de riz noir
Thé jaune, très rare
Impressionnantes tresses de ce Thé Pu’er

J’ai tellement aimé tout ce voyage à la rencontre de cette plante unique, qui produit ces feuilles qui s’épandent en dessinant des motifs tellement différents, une merveille si nous pensons que tout provient du même arbre à la base. Beauté de la nature et de ses ré-inventations (un peu aidées par l’Homme, ici).

J’ai également appris que le thé se conserve plus ou moins longtemps : de 1 à 2 ans pour le thé vert (qu’il vaut mieux consommer jeune, les meilleurs thés sont les plus frais, on les trouve au printemps) jusqu’à 30 ans pour certains thés noirs. Il existe également toute une hiérarchie des crûs, plus ou moins réputés, selon que le thé est récolté sur tel ou tel coteau, à tel ou tel moment. Et les prix peuvent tout à fait s’emballer pour dépasser le millier d’euros les 100 grammes.

C’est un véritable univers que j’ai découvert là, avec ses codes et sa culture. Je n’ai pas pu éviter le rapprochement avec le vin. Processus parallèles qui donnent le vertige, deux civilisations bien éloignées qui misent les mêmes choses sur deux productions de la nature bien différentes.

FB