Pékin – Incursion (excursion ?) Place Tian An Men (2020)

La Place Tian An Men (天安门), dont le nom signifie « Place de la la porte de la paix céleste » est gravée dans notre imaginaire notamment pour les événements de 1989. Située en plein centre de Pékin, elle est un endroit touristique par excellence, autant pour les Chinois que pour les habitants des autres pays, les deux catégories de visiteurs n’obéissant pas à la même logique, nous y reviendrons.

Dimanche dernier, journée magnifique, j’ai décidé de tenter ma chance pour visiter la place, un peu rebutée quelques semaines auparavant par les queues qui attendaient aux points de contrôle de sécurité et pensant que ces attentes étaient liées aux vacances d’automne (en Chine, il y a deux semaines fériées, les fêtes d’automne, la « golden week » en octobre et le Nouvel An chinois en février). Et bien non, j’ai mis une heure à pouvoir franchir le check-point, comme une frontière intérieure à la ville ; et, seule Occidentale de toute l’assemblée, il a fallu que je justifie que je vivais et travaillais à Pékin, que je donne mes coordonnées, mon numéro de téléphone etc… Bref, j’ai enfin pu pénétrer dans cette enceinte mythique et très sécurisée.

Nous y sentons tout d’abord l’importance qu’elle revêt dans l’imaginaire politique des Chinois, le Communisme est bien vivant ici et suscite respect et obéissance. Ici a été proclamée par Mao Zedong la fondation de la République populaire de Chine le 1er octobre 1949 (d’où la semaine de congés mentionnée plus haut). C’est un centre névralgique de par son symbolisme, où les policiers sont présents partout et où vous sentez que vous n’avez pas intérêt à dévier (même jeter un papier par terre paraît relever d’un risque majeur pour la sécurité du pays, en bref, ça ne rigole pas 🙂 ). Bien sûr, selfies innombrables devant le portrait de Mao Zedong, devant son mausolée et depuis cette année devant ce bouquet coloré fait d’acier et de béton, destiné à fêter un anniversaire qui m’échappe, sont de rigueur. Un mariage improbable entre société de consommation rompue au high-tech et culte du chef.

La première impression est l’immensité. Mais quoi de plus normal dans ce pays aux dimensions inédites pour nous… Sur 880 mètres de long et 500 de large, la place aligne plus de 40 hectares en un espace où pourrait se tenir la réunion d’un million de personnes, le mausolée érigé juste après la mort du Grand Timonier mesure 220 mètres sur 280 (ce qui en fait un des monuments les plus imposants du pays), chiffres vertigineux et improbables… Nous comprenons mieux la nécessité militaire d’encadrer la ferveur du peuple !
A noter que le mausolée a été construit en 6 mois, ce qui montre l’incroyable capacité à produire rapidement ici, ce que je constate au quotidien ; là où en France, cela prendrait un mois, les travaux sont réalisés ici en une semaine ou moins.

Je trouve que cette image, prise à mi-chemin entre le nord et le sud de l’ensemble et regardant vers le nord, donne une bonne idée des dimensions
Et celle-là aussi d’ailleurs, même perspective. Si vous avez l’impression de vide, rappelez-vous des proportions
Après quelques 300 mètres de marche, je me rapproche enfin 🙂

Ensuite vient la réflexion sur cet ensemble inédit, comment et pourquoi existe t-il ? Quel est le but de cette grandeur ? (En bonne Française, je n’ai pas oublié d’être un peu cartésienne). Sans vouloir creuser jusqu’aux tréfonds de l’histoire chinoise, ce qui frappe tout d’abord comme une évidence (et chers lecteurs, j’ai bien en tête d’énoncer une tautologie ici), c’est la volonté d’illustrer l’importance du régime communiste et sa majesté. Le mausolée en est un bon exemple, des foules s’y pressent sous haute surveillance (on arrive même à interdire les téléphones portables le temps de la visite, ce qui est un comble ici !) pour voir la dépouille embaumée de Mao. Inspirer le respect par un décorum hors du commun, voilà ce qui est à l’oeuvre ici. Mais plus que cela, cette place inscrit son immensité au centre de la ville, adossée à la Cité interdite, elle-même gigantesque (960 mètres sur 750 mètres), symbole de la domination de l’Empire chinois. Et au nord et au sud se dressent deux portes anciennes qui forment la limite de l’endroit. Ainsi, il y a ici une vraie référence à l’histoire, comme une manière de faire plus grand et plus majestueux, de surpasser les potentats passés, tout en les reconnaissant implicitement, sûrement pour revendiquer une sorte de filiation.

Filiation également avec la Russie, le parallèle m’a également frappée, pour avoir visité Moscou en 2018 (et je mets plus bas le lien vers un article que j’ai écrit sur le métro de cette ville). Car la configuration spatiale est identique : une place de grandes dimensions (la Place Rouge/la Place Tian An Men), adossée à un monument historique reflétant le pouvoir de l’ancien temps (le Kremlin/la Cité interdite) avec insertion au coeur de l’espace d’un mausolée à la gloire du chef du nouveau régime (Mausolée de Lénine/de Mao Zedong). La similitude est trop troublante pour être due au hasard, notamment quand nous savons toute l’importance qu’avait Lénine pour Mao. Mais il faut surpasser le géniteur, il n’en mène pas large, c’est le cas de le dire, et ne soutient pas la comparaison avec une ridicule place de 23 hectares et un risible monument de 24 mètres de long… Les motivations et les réalisations restent pourtant identiques, l’ensemble chinois apparaissant comme un décalque augmenté de l’ensemble russe.

Après cet érudit article, je vous laisse avec quelques images…

FB

https://rue2provence.com/2018/08/06/promenade-dans-le-metro-de-moscou-2018/

Le bouquet de fleurs dont je parlais, et qui doit bien faire 10 m de haut minimum
Une des seules photos où je n’ai pas réussi à éviter les militaires… Mais non je plaisante !
Mausolée de Mao, rhétorique soviétique, non, pardon, chinoise !
Toujours le mausolée
Idem
Le musée national de Chine, architecture officielle qui ne permet pas de reconnaître un musée d’une académie militaire ou d’un ministère