Avec l’apparition des smartphones, nous voyons fleurir une nouvelle mode qui consiste à tout mettre en images figées, soit des photographies, comme pour voler au monde mobile et mutant quelque chose de pérenne et d’être certain que l’on était bien là à ce moment donné (1). Il est curieux de constater combien l’Homme a besoin d’être rassuré sur son insertion dans l’univers qui l’entoure. Ou alors, dans cette vie qui va trop vite, qui permet d’être là un jour, ailleurs le lendemain, il se sécurise en figeant des moments qu’il a vécu, pour ne pas oublier ? Les deux, sûrement.
Depuis quelque temps est apparu le concept de « selfie », soit, comme le dit fort bien la jolie femme ci-dessus, une photo d’une personne prise par cette même personne (le selfie peut se pratiquer en couple, voire plus, l’important étant de ne pas être hors-champ, tout dépend de la longueur du bras de celui qui tient l’appareil 😉 ) (2). Vous me direz, mais pourquoi cette mode est-elle apparue avec les smartphones, puisque le geste technique était possible avec un appareil photo standard ? Et bien, vous auriez tort, car vous négligez une des fonctions importantes d’un smartphone, qui est de « poster » ! Cela permet à n’importe qui n’importe où de s’exporter en image auprès de XXX followers ou amis, ou, pour les plus sobres, d’envoyer l’image par texto à une seule personne (petits joueurs !). Mr Spoke et sa téléportation ne sont pas si loin (3).
Au-delà de cette mode de s’exposer partout, le selfie est révélateur d’une évolution sociétale majeure ; s’il n’en est pas l’aboutissement, il en est tout du moins un symptôme important. Je veux parler de l’auto-centrisme galopant qui nous entoure. Je ne reviendrai pas sur les origines, ou alors en vue rapide, la chute de la religion et des idées politiques, la vacance d’esprit consécutive, qui permet au matérialisme, adossé à la société de consommation, de s’engouffrer dans les existences de chacun, « vivre c’est consommer », etc. etc… Le selfie (aussi appelé « ego » au Canada, terme bien révélateur) est un changement de paradigme dans la vision que nous avons du monde. Auparavant, du temps des appareils photo simples, nous capturions des images de ce qui nous entourait, paysages et personnes. C’était un mouvement de nous vers l’extérieur, qui nous ouvrait et nous décentrait de nous-même. Le selfie est un contraire radical de cela : le monde vient vers moi, peu importe que j’inclue dans mon image le Taj-Mahal, Chichen Itza ou la Tour Eiffel, ce qui compte c’est ma représentation avec ces monuments en arrière-plan (4). Et la possibilité de poster la photo sur un réseau social ne fait que corroborer et amplifier le phénomène. Ce serait comme un mouvement qui m’amènerait à m’abstraire du monde réel qui m’entoure, pour me concentrer sur moi et envoyer mon image à un monde virtuel, dont tout ce que j’attend n’est pas un échange, mais juste la satisfaction de faire un acte qui me concerne, ou, mieux, de recevoir en retour des « like » qui nourriront mon ego.
Juste une remarque : selfie n’est pas très loin, étymologiquement parlant de « selfish », qui signifie égoïste en anglais. Et un rappel : pour recevoir, il faut donner…
NB : depuis, j’ai écouté une excellente chronique sur un sujet connexe « la canne à selfie », qui permet de suspendre l’appareil en l’air pour mieux embrasser le paysage… http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-place-de-la-toile-par-xavier-de-la-porte-2014-09-04
FB
(1) Je sors d’une exposition sur les Mayas, et j’ai vu, comme d’habitude, quantité de gens prendre des photos avec leurs téléphones, au lieu de regarder les oeuvres…
(2) Comme disait Coluche : la bonne taille c’est lorsque les pieds touchent par terre.
(3) Allusion à peine voilée à une série culte, « Startrek ».
(4) A noter que bien des selfies ne s’embarrassent même pas d’arrière-plan.
Une idée lancée par Mr Bean qui faisait rire à l’époque par son côté ridicule… Mais comme le ridicule ne tue pas… Le selfie : niveau zéro de la photo et gloire du tout à l’égo.
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