Céline Sciamma est une jeune cinéaste française pleine de talent, dont j’ai vu avec plaisir les deux premiers longs métrages (« Naissance des pieuvres », 2007 et « Tomboy » (2011) et que je retrouve ici pour son dernier opus, « Bande de filles ».
De ce film, je retiendrai d’abord des scènes magnifiques. Celle où les quatre filles qui forment la « bande », chantent « Diamonds » de Rihanna (« We’re beautiful like diamonds in the sky ») et dansent sur la musique. Dans une chambre d’hôtel qu’elles ont loué pour la nuit, histoire d’échapper à leur monde, et dont elles ont fait un refuge où tout est permis, boire, fumer, manger des choses régressives, seules entre elles. Et également la scène d’ouverture, un match de football américain, avec une équipe de filles qui s’affronte et se congratule ensuite. Et puis, et puis… Il y en a tellement. Céline Sciamma soigne sa mise en scène pour qu’elle nimbe son film d’une beauté rigoureuse qui accompagne le récit. Malgré la grande technique que nous percevons dans la conception des plans, tout est fluidité dans cette histoire.
Marieme, jeune fille de seize ans, vit en banlieue parisienne dans une grande cité, avec sa mère, son frère aîné et ses deux plus jeunes soeurs. Lorsque nous la rencontrons, elle est à la croisée des chemins et cherche sa voie. Un premier basculement a lieu lorsqu’elle doit quitter le lycée pour se diriger vers des études techniques de type C.A.P. Dans la cour du lycée elle rencontre Lady, Adiatou et Fily, trois autres filles avec lesquelles elle va former une bande, qui rigole, qui se bat, qui se soutient, oscillant entre tendresse enfantine et dureté en résonance à l’âpre monde alentour. Car elle est bien difficile cette existence, avenir professionnel empli de déceptions, familles intolérantes aux premiers émois amoureux, hostilité du béton qui s’érige en barres inhumaines ou construit de vastes espaces dénudés. Difficile également est la tâche de la cinéaste pour réussir à filmer une jeune fille noire d’une cité, sujet casse-gueule s’il en est, sans tomber dans les clichés et images éculées, drogue, chômage, violence, prostitution, racket, pauvreté, échec scolaire…
Pour y parvenir, la cinéaste se focalise, comme à son habitude, sur le portrait d’une jeune fille confrontée à la vie, ici banlieue et couleur de la peau ne sont qu’éléments de contexte. En décentrant son sujet, elle peut ainsi dépeindre subtilement ce qui entoure Marieme sans démonstration. Car son propos est ailleurs, elle scrute l’enfance (ou l’adolescence) et ses mystères depuis son premier long métrage, sans démagogie ni condescendance, cherchant à effeuiller sa complexité pour en rendre toute la douceur et toute la violence. C’est un univers vu à hauteur de Marieme que nous regardons ici, les adultes sont presque absents de l’image, même si nous sentons leur présence. Seule face à la vie, aux choix, aux autres, Marieme trace son chemin par à-coups, en forme de métamorphoses successives, comme une chrysalide devenant papillon, illustrées par des changements d’apparence physique. De jeune fille peu consciente de sa féminité au début (football américain, habits neutres), elle devient une femme exacerbée (vêtements sexy, ongles peints, chevelure de lionne) puis une fille déguisée en homme.
Car c’est un voyage initiatique que nous suivons, sans pesanteur ni didactisme. Pour comprendre qui elle est, Marieme va devoir se dépouiller de tout, sa famille, sa féminité, son amant, ses amies… Et dans la dernière image du film, nous la voyons pleurer, puis sécher ses larmes et continuer à avancer, métaphore de la vie s’il en est. Pour faire ce parcours, elle se sera adossée à des figures féminines successives, sa soeur, ses amies Lady, Adiatou et Fily, et puis Fiona, la prostituée, une « bande de filles » formidable.
Je voudrais rendre hommage aux actrices, excellentes, et surtout à Karidja Touré, très jolie jeune fille douée qui joue Marieme.
Un très bon film, allez le voir.
FB
et pour le plaisir :