Voilà un film de synthèse, à tous les sens du terme. Synthèse des images, comme tout opus d’anticipation qui se respecte, effets spéciaux garantis (bien que limités, disons-le). Mais également et surtout, synthèse de l’air du temps.
C’est tout d’abord une saga d’adolescents, un film d’initiation comme l’ont pu être les récents « Divergente » (Neil Burger, 2014) ou « Hunger games » (Gary Ross, 2012). Lâchés dans un univers qu’ils ne connaissent pas, de jeunes héros luttent seuls pour leur survie, séparés de leurs parents et livrés à eux-mêmes. Comment ne pas y voir une métaphore de la difficulté à quitter l’enfance, illustrée ici d’une manière parfois assez littérale (cette plate-forme qui reparaît tous les mois chargée d’équipement et de vivres s’apparente à la mère nourricière qui continue à subvenir de manière presque magique aux besoins de l’enfant – dans « Hunger games », ce sont de riches sponsors qui peuvent faire parvenir du ravitaillement aux héros). Rappelons-nous que dans les films américains dits « d’adolescents » (teen movies) des décennies précédentes, où les déchirements des héros avaient pour centre le choix des études ou de l’élu(e) de leur coeur, les parents, présents et invisibles à la fois, n’avaient comme quasi-unique fonction que celle de subvenir aux besoins vitaux de leur progéniture. En mettant en parallèle ces deux manières successives de décrire le passage à l’âge adulte, nous voyons bien que si la place de l’adolescent par rapport aux adultes est à peu près la même, l’environnement a bien changé, la représentation d’un monde paisible et sans problème existentiel aigu a laissé place à la description d’un univers bouleversé où les parents sont physiquement absents.
Car nous sommes ici, comme dans les deux autres films cités, dans un univers post-apocalyptique, détruit par une catastrophe environnementale/sociale/etc… Peu importe, qui a englouti tous les repères de ces adultes en devenir, parents compris. Cela permet sûrement au cinéaste une mise en scène bien plus spectaculaire que naguère (il est quand même plus dramatique de filmer un labyrinthe mystérieux qu’une boum au lycée 😉 ) et il peut ainsi également surfer sur la vague de succès qui emporte les séries comme « Game of thrones » ou les films du genre « Le Hobbit ». Nous voyons en ce moment fleurir toute une littérature et toute une filmographie autour de l’heroic fantasy (1) à destination du jeune public, dans une proportion jamais atteinte, là où auparavant les adolescents se délectaient de récits d’aventures, parfois de science-fiction, mais plutôt de type scientifique, comme par exemple les livres de Jules Verne. Il s’agit bien sûr d’un effet de mode, poussé par un marketing agressif qui cherche des parts de marché ; mais nous pouvons nous interroger sur le pourquoi de cet engouement. J’avancerai pour ma part que dans le monde désenchanté (2) dans lequel nous vivons, les jeunes trouvent ici un moyen d’échappatoire en forme de rêve magique. Et cela rejoint un deuxième postulat que je voudrais vous livrer ici. Le glissement opéré dans les films d’adolescents américains d’un contexte apaisé à ce monde dur et inquiétant semble être à l’image de ce que vivent vraiment les jeunes générations. Familles délitées, chômage croissant, menaces climatiques, tout est là pour créer un univers anxiogène qui se reflète parfaitement de mon point de vue dans ces films. Soumis à des épreuves où ils jouent leur vie (et non plus seulement leur avenir), nous les voyons dépouillés de tout jusqu’à l’essentiel et nous sommes loin des interrogations ontologiques des héroïnes sur les tenues à adopter pour telle ou telle circonstance (voir « Clueless« , Amy Heckerling, 1995, par exemple).
En incise, je voudrais rendre hommage à William Golding, écrivain anglais (1911-1993) pour son livre « Sa majesté des mouches », écrit en 1954, ouvrage atypique préfigurant les films dont il est question ici, puisqu’il met en scène des jeunes garçons naufragés sur une île où ils vont devoir survivre par leurs propres moyens. Portant la réflexion bien au-delà des films cités, il prend de mon point de vue une dimension politique qui est absente ici, lorsqu’il décrit comment ces jeunes gens recréent des modèles de société.
Après cette mise en contexte, revenons-en plus précisément au film. Qu’en dire ? Pas grand chose, j’ai l’impression d’en avoir extrait la substantifique moelle ci-dessus. A l’instar de « Divergente » (je ne dirais pas la même chose de « Hunger games« , du moins du premier opus), le cinéaste, à l’instar d’un alchimiste inverti, arrive à transmuter l’or (la bonne idée de départ) en plomb. Scénario indigent voire incohérent, qui étire chaque péripétie jusqu’à l’infini, caractères à peine dessinés et relativement monolithiques, suspense aux abonnés absents… Et quelque chose d’horripilant qui est de découvrir que l’épisode ne va pas se suffire à lui-même mais appelle une suite, qui, nous le supposons, va également dilater l’histoire jusqu’à la réduire à rien. Cela nous laisse au milieu du gué, avec un film à moitié fini et c’est détestable.
Donc, je ne recommande pas, sauf si vous voulez faire de la sociologie avancée sur les films de teen agers.
FB
(1) Récit d’aventures dans un monde imaginaire, aux allures médiévales ou antiques. « Le seigneur des anneaux » de J.R.R. Tolkien en est l’exemple emblématique.
(2) A entendre au sens premier du terme, c’est à dire un monde rationnel tout entier livré à la science.