Pékin – Temple Jietai 戒台寺 (2022)

Je vous fais partager ici une autre de mes pérégrinations automnale dans la capitale chinoise (avec un peu de retard, ici l’hiver s’est bien installé). Encore un temple, me direz-vous, oui, mais quel endroit !

Son nom signifie « Temple de la terrasse d’ordination », c’est un des trois plus grands temples où se déroule en Chine l’ordination des moines bouddhistes (c’est à dire le processus qui permet d’atteindre le statut de moine à part entière). Il a été fondé au VIIe siècle de notre ère, sous la dynastie des Sui et a bien sûr été remanié ensuite. Après 1949, les activités religieuses se sont arrêtées, le temple est devenu un parc, les bâtiments ont ensuite été victimes de la Révolution Culturelle (il n’était pas aussi bien caché que le Temple Tanzhe, pourtant voisin, que j’ai chroniqué récemment) et nombre de statues ont été détruites. Il a fait l’objet d’une reconstruction importante dans les années 1980.

Pour aller à sa rencontre, vous devez faire votre route plein ouest depuis le centre de Pékin et parcourir quelques 30 kilomètres qui se terminent en quelques virages en épingles à cheveux, tels que nous les connaissons dans les montagnes en Europe, mais qui sont ici un peu inhabituels – le chauffeur de taxi qui m’amenait là était un peu dérangé par ces accrocs dans son quotidien de lignes droites et amples de l’hypercentre, il conduisait avec bien des précautions que j’ai peu vues ici. Il était également perturbé par tous ces cyclistes ayant enfourché des vélos de compétition en tenues de sport hyper branchées, pour gravir ce col aux allures d’Europe.

Car c’est ici un point de ralliement populaire chez les cyclistes, dont le nombre s’est bien accru depuis le début de la pandémie, puisque une des injonctions sanitaires était d’éviter les transports en commun. Conjugué avec l’importance de faire du sport pour garder la santé, cela nous donne une augmentation bien perceptible des cyclistes qui affrontent les routes même pleines de déclivités. Notons que les femmes font presque jeu égal avec les hommes.

Sportifs au bout de leur effort

Lors de sa fondation, ce temple avait pour nom Huiju 慧聚 (Temple de l’accumulation de la sagesse), il a ensuite changé de nom au XVe siècle pour celui de Wanshuchang (je n’ai pas trouvé la traduction) pour trouver finalement le patronyme que nous lui connaissons aujourd’hui. Variabilité des structures et des appellations. J’admire tous ces lieux qui franchissent les époques en se réinventant tels des phénix renaissant de leurs cendres.

Le jour presque miraculeux qui m’accompagnait est sûrement pour quelque chose dans la beauté que j’ai ressentie ici, mais aussi le calme des grands espaces, il y avait quelque chose de l’ordre de l’immuabilité de l’histoire affrontée à la civilisation qui avance.

La ville à l’horizon, le temple devient comme un gardien du temps qui passe

Une entrée classique et bien belle m’accueillie, ourlée de tous ces arbres qui n’en finissent pas de changer de couleur pour entrer dans l’automne.

Les lions ont revêtus leurs atours de la couleur dominante ici 红色

Près de l’entrée, une plate-forme offre une vue d’exception sur les alentours ; comme fondues dans le bleu du ciel, les montagnes s’étagent en vagues de pierre, et dans ce pays qui n’arrête pas de se transformer, elles nous rappellent leur immuabilité. Car, même excavées, dynamitées, plantées de pylônes, bardées d’autoroutes, elles seront toujours là. Enfin, sous nos horizons ce serait une vérité, ne parions pas trop vite car ici la capacité à modeler l’horizon est tellement importante qu’elle nous semble presque magique.

Au loin ces monts résilients
Plantation d’arbres au premier plan et de pylônes au deuxième plan

Cette cloche, si représentative des temples bouddhistes, reste fièrement campée face au paysage comme une vigie de l’ancien temps.

Sur le promontoire, elle est bien belle, cette cloche parée de rouge qui se moque bien de tous ces machins métalliques à l’horizon

Le temple se déploie en petits espaces presque clos, propices à la méditation (des fidèles honorent les divinités avec des bâtons d’encens ou les ornent d’écharpes d’or pour demander leur merci).

Les raffinements du toit, si beaux et colorés, sur fond de nature
Un bouddha bien hiératique, ayant reçu ses offrandes de lotus
A l’horizon, une autre divinité immuable derrière un très vieil arbre

Dans ce temple, nous sentons bien que, même si nous n’avons pas quitté l’enceinte de la capitale, la nature joue à jeu égal avec les bâtiments, ils se rehaussent les uns les autres. Cette impression d’une nature omniprésente, qui entoure le temple et s’est immiscée entre ses bâtiments, comme pour le protéger du monde extérieur, nous suit partout ici.

Si, nous sommes bien dans l’enceinte d’un temple
Et là aussi, oui oui je vous l’assure
Dégradé de vigne vierge et de mur

Il faut aussi faire mention de tous ces arbres vénérables, pour leur rendre hommage, ces vieillards fiers qui ne dépareraient pas dans la Forêt de Fangorn (voir le « Seigneur des anneaux »), nous les rencontrons dans bien des temples. Ils sont souvent plus anciens que les bâtiments alentour et ont été (heureusement) épargnés par le temps qui passe et les cohortes de mutilations du patrimoine qui ont accompagné l’histoire chinoise. Ici ils sont particulièrement âgés, ils ont vu bien des automnes depuis leur plantation (entre le VIIe et le XIIe siècle de notre ère), de vrais aïeuls qui nous abritent de toute la sagesse de leur ampleur.

Une allée presque impériale, où se courbent les pins comme pour saluer le passage d’un hiérarque

Le temple compte cinq pins très anciens, voilà par exemple le « Pin du dragon endormi », nommé ainsi en raison de sa forme qui évoque un de ces animaux mythiques qui vient de se poser sur terre et se repose (j’adore cette image). Cet arbre vénérable, âgé de plus de mille ans, d’après ce que j’ai lu, est comme un colosse immuable qui regarde simplement le temps qui passe en essayant de garder un peu de sa droiture dans toute cette ramure qui le courbe.

En un équilibre
Qu’il faut soutenir

D’autres de ces vieillards (qui ont quand même l’air bien alertes), sont l’objet d’offrandes et semblent jubiler dans leur rôle de presque divinités que des mortels viennent orner de rubans votifs rutilants.

Un arbre ancestral comblé des voeux des fidèles

Une parenthèse pour vous faire partager une des mes rencontres inattendues.

En passant, j’ai failli me faire un ami, finalement assez fugace !
Un autre représentant du genre animal, lion croisé sur ma route, pas sûr que je puisse en faire un ami
Un autre lion qui garde la montagne

Ce qui est très beau ici, c’est de voir l’adossement des bâtiments à la montagne alentour (la ville s’est bien éloignée). Bien que parfois ponctuée d’antennes et de pylônes, elle continue à faire un bel écrin de nature qui répond aux superbes arbres du lieu.

Un de ces magnifiques dégradés automnaux que j’aime tant
Mystérieux mimétisme des antennes avec les arbres
Domination des pins
Les pivoines attendent le printemps pour prendre leur revanche
Les immenses lilas, si célèbres ici, se sont aussi assoupis

Et puis il faut faire mention de ces stupas, ces édifices verticaux qui sont censés abriter des reliques de Bouddha. Loin de trôner dans une éclatante splendeur blanche comme celle qui coiffe le parc de Beihai à Pékin, elles semblent jouer à cache-cache avec les arbres.

Avec un arbre serpent qui vient s’entorsader à ses pieds

Bien sûr nous croisons bien des sanctuaires, nous sommes dans un temple, même si tous ces arbres, écureuils et lions n’avaient de cesse de nous en détourner. Des divinités nous rappellent à l’ordre dans toute leur majesté.

Le Dieu de la richesse
Avec des objets votifs appropriés à dominante d’or
Divinité et sa cohorte de fidèles
Offrandes de lotus

Et puis, dans un des endroits les plus élevés du temple, je rencontre cette multitude d’arhats (personnes ayant atteint un niveau élevé dans la hiérarchie du Bouddhisme). Toutes ces statues, innombrables, datent de la fin du XVIIIe siècle ; sculptées dans le bronze, elles vous accueillent comme si vous étiez un ami de passage. Elles ont du voir bien des gens, des visiteurs ou des fidèles qui sont venus leur rendre visite dans leurs quartiers colorés.

Le temple adjacent est paré d’offrandes dorées qui tintinnabulent dans le vent qui passe et se laissent saisir çà et là par un rayon de soleil qui passe. C’est merveilleux…

Le soleil qui décline marbre les édifices de ses rayons.

Bien qu’il n’y ait pas foule, j’ai remarqué ces parents qui entraînaient leurs enfants à la découverte du lieu, explications à la clé. J’ai trouvé cela bien émouvant, la transmission d’une culture en action.

Père et fils

J’ai croisé ce poisson dragon, déjà vu ailleurs, sans que je puisse vous en donner la signification.

Et puis ces tours de marbre jetées vers le ciel, auxquelles font résonnance ces objets du temps moderne déjà cités.

Avant de repartir, je jette à nouveau un regard vers le lointain des montagnes.

FB