Samedi dernier, il ne faisait pas bon s’attarder dans les rues, la pollution qui ne nous quitte pas depuis un mois avait atteint plus de 200 ppm (à comparer avec Paris, autour de 20 à 40 ppm). Avec une anticipation insoupçonnée, j’avais réussi deux semaines avant à faire une réservation sur le site du Musée d’art national de Chine (avec toujours le même chemin complexe, il existe un site en anglais, mais vous ne pouvez réserver que sur le site en chinois…). Situé au nord de la Cité interdite, c’est un des plus grands musées d’art de Chine, abritant d’importantes collections de peinture. A noter qu’il est gratuit, la réservation n’intervenant ici que pour réguler le nombre d’accès.
Etait proposée une exposition sur la « vitalité de l’art », pour célébrer le Nouvel An Chinois (plus clairement, la grandeur de la nation chinoise). Cette exposition déroulait ses salles selon plusieurs thèmes, je voudrais ici me focaliser sur la section dédiée à la médecine et aux médecins. Deux salles seulement, mais qui nous disaient tellement sur ce pays au travers de cette profession, si sensible à certaines époques.
La figure du médecin est représentée dans la Chine communiste des débuts, c’est un personnage positif, au même titre que les travailleurs, un de ceux qui sillonne le pays et donne son temps aux forces laborieuses, les aidant à se relever de leurs blessures ou maladies pour continuer à construire le pays. Notons que dans les peintures des années 1950/1975, celles qui sont au coeur de la période Maoïste, les femmes sont à l’honneur dans ce métier.
Nous retrouvons dans ces oeuvres anciennes l’esthétique si particulière des pays communistes (la Russie n’est pas loin), mâtinée toutefois, notamment dans la première image, d’une inspiration qui tire vers l’art chinois classique.



Nous voyons ici un art patriotique et nationaliste, qui a pour objet de glorifier le pays et de vanter ses succès. Si l’on superpose à cela ce que j’ai dit plus haut sur la figure du médecin, c’est une glorification au carré à laquelle nous assistons. Une célébration à laquelle nous sommes conviés, dans ce pays qui est lui aussi toujours en guerre contre la pandémie.
C’est un art vivant qui continue à avancer sa propre voie, il « met en art » des événements parfois très récents, sous forme de toiles ou de sculptures très réalistes ; il faut à mon avis mettre cela en relation avec le côté très concret des Chinois, qui, s’ils ont une spiritualité très forte, sont en même temps très ancrés dans le réel.
Il est aussi loin des canons esthétiques de notre histoire de l’art, même si nous pouvons reconnaître çà et là quelques influences occidentales. Dans la série que je vous présente, le réalisme est de rigueur, le « raffinement » intellectuel parfois très (trop ?) exagéré de notre conception de l’art est étranger aux Chinois. Et, même si j’apprécie certaines tortuosités mentales retranscrites en art dans notre culturel européen, je dois dire que cela fait comme un grand bol d’air frais de voir ces artistes. J’ai vu là des choses spectaculaires et belles que je vais vous faire découvrir.
Ces toiles racontent l’histoire d’une lutte et un hommage aux soignants, dans un mode hyperréaliste et finalement assez approprié. Il y a du souffle, celui de la gratitude d’un peuple envers cette population exposée, que nous pouvons sentir presque physiquement ici. La dimension des toiles est d’ailleurs significative, d’immenses fresques ou des portraits XXL, qui s’affichent sur les murs de ce musée. Pas d’intimité ici, seulement de la grandeur.


Les deux pandémies récentes, SRAS et Covid-19, ont donné lieu à d’immenses reconstitutions picturales telles que nous les connaissions parfois en Europe jusqu’au XIXe siècle. Commençons par le SRAS, épidémie qui a fortement touché le pays. Le tableau ci-dessous, fiévreux et précis, nous montre toute une mobilisation de lutte, soignants, armée et autres, apportant le réconfort dans la province du Sichuan.

Vient ensuite cet hallucinant triptyque de Zhao Zhenhua, reprenant les formes classiques de la religion, nous ne sommes pas loin ici de la vénération. Sur le volet gauche, une image qui s’apparente à la Passion du Christ, le volet droit évoquant presque la Résurrection de Lazare. Le volet central illustre la dignité et la volonté de ces forces de combat enrôlées dans une guerre inédite. C’est une toile incroyable, à l’inédit qui vous coupe le souffle, devant l’ambition du projet et la précision de la réalisation.



Pour la lutte contre le virus Ebola, qui n’a pas touché la Chine, nous sommes plutôt dans l’optique d’une diplomatie d’aide internationale (vu la présence de la Chine en Afrique, rien d’exceptionnel). Et la toile nous renvoie d’ailleurs à bien des canons de l’âge de la colonisation européenne, quand le pays dominant apprend aux peuples comment utiliser les produits issus des techniques avancées qu’il maîtrise (ici les masques).

La lutte contre le Covid-19, bien que très récente, a elle aussi fait son entrée dans l’art et dans les musées… Les oeuvres ayant pour toile de fond le SRAS sont déjà de l’histoire, 12 ans se sont écoulés, une presque éternité pour notre monde où tout va (ou veut aller) si vite, dans une impatience inavouée. Pourtant, dans cette société chinoise qui utilise ou sur-utilise les réseaux sociaux, postant sans cesse et sans cesse, il est étonnant de constater cette envie de fixer sur un support très traditionnel (toile + pinceaux) ce qui est en train d’arriver. Il est loin des « canons de beauté » pourrais-je dire, ce reportage pictural d’actualité qu’ils nous livrent.
Vient d’abord un croquis plein de vie qui rend hommage aux 7000 travailleurs ayant oeuvré à la construction de l’hôpital proche de Wuhan, 60 000 m² sur deux étages, mille lits en tout, commencé le 23 janvier et terminé le 2 février, en 11 jours. Un événement qui a fait écho en Europe et peut-être dans le monde.

Et puis des images de soignants, saisies dans leur humanité, qui se bat pour le peuple avec un alignement sans faille à la patrie, dans un mode presque guerrier, qui doute parfois mais se relève toujours.



cette femme semble une Néfertiti avec stigmates

Incroyable voyage dans cet hommage aux soignants, mêlé de nationalisme.
FB
Très réaliste en effet. Tout le monde est bien protégé.
Merci 🙂
Comme ici dans la rue, toujours masqués. Et du gel hydroalcoolique partout. Les « must have » 2020/2021…
L’art abstrait s’accommode mal avec l’art de propagande. Ici le message doit être clair, réaliste, voire hyper-réaliste. C’est bien ce qui le rend à la fois naïf et fascinant je trouve. Cette expo semble magnifique, s’étalant sur une longue période traversée de plusieurs crises sanitaires. L’hommage aux prouesses de Wuhan vient sans doute s’opposer à la contre propagande de Ai Weiwei et son brûlot Coronation.
C’est très juste. Merci pour ton commentaire.