Nous autres, pauvres expatriés à Pékin, avons fait pour la majorité notre deuil de sortir de la ville au moins jusqu’à la fin des vacances du Nouvel An chinois (et peut-être jusqu’au 15 mars au vu des nouvelles régulations intervenues ce jour – si vous quittez la capitale, à votre retour, il faut un test PCR négatif, puis deux autres tests, un après 7 jours et un autre après 14 jours. Pendant cette période, vous pouvez « travailler normalement », dit le règlement, mais sans participer à aucune réunion ni aucune sortie en groupe. L’art des Chinois de ne rien imposer, il est toujours possible techniquement de se déplacer, mais avec de telles contraintes que vous finissez par abandonner le projet) ; après un rétrécissement à la Chine mainland depuis presque un an, plus de Thaïlande ni de Vietnam ou Japon, nous sommes donc maintenant contenus dans notre ville. Je me souviens avoir fait des plans avec un ami au téléphone fin décembre pour partir à Harbin, dans l’extrême nord de la Chine, où se déroule chaque année un festival de sculptures sur neige et glace. Froid assuré, -30° ou plus, parfois venteux, un exercice de survie pour voir ces édifices éphémères, parés de mille couleurs la nuit.
Tout cela est bien loin maintenant, et il faut se résigner à arpenter des espaces plus réduits… Réduits, réduits, tout est relatif puisque la ville de Pékin (北京城市) s’étend sur des distances insoupçonnées pour nous autres. Vous pouvez faire presque 100 kms dans chaque direction sans quitter l’agglomération (bien sûr vous traversez des espaces plus clairsemés, mais vous restez techniquement en ville). Ainsi, la Grande Muraille se trouve en partie dans Pékin, vous pouvez la rencontrer en faisant 80 kms vers le nord.
Nous avons la chance d’avoir une agence de voyages, « China Travel Horizon », gérée par une Chinoise, Simone, qui organise des sorties sur une journée (ou des voyages plus lointains qui ne sont plus d’actualité) pour les expatriés, aplanissant pour nous toutes les difficultés de déplacement, d’achat de billet, de tracasseries administratives, pour des prix modiques (l’excursion dont je vais parler ici m’a coûté 34 euros, comprenant le bus, 4 h A/R, un dîner et l’entrée au site – non je ne compte pas mes sous, c’est uniquement pour vous donner un ordre de grandeur ! :-)).
Quand cette agence nous a proposé d’aller voir à Longqingxia un parc d’attractions comprenant des illuminations et des sculptures de glace, moi qui était en train de faire mon deuil d’un voyage à Harbin, je n’ai pas été la dernière à m’inscrire. Je me suis retrouvée dans un ensemble de plus de 120 étrangers, une affluence sûrement due aux restrictions dont j’ai parlé avant, répartis dans trois bus pour deux heures de route jusqu’à notre destination. En chemin, dans un soleil couchant voilé par la pollution (un des pics depuis que je suis à Pékin, ils sont quand même peu nombreux mais je ne pense pas arrêter de fumer, peu d’utilité ici :-)), j’ai aperçu pour la première fois la Grande Muraille, avec une grande émotion, ce chemin guerrier qui serpente tout au long de la frontière nord et qui est un des emblèmes du pays (finalement, ce besoin de protection est transposé de nos jours dans ces quatorzaines qui protègent la population des incursions extérieures du Covid19 et des dommages qu’elles pourraient causer, autrefois la guerre, aujourd’hui l’épidémie – le pays est prêt à se fermer en cas de danger).
J’ai retrouvé dans le bus des personnes que j’avais déjà rencontrées, ici la sociabilité va très vite, nous sommes peu d’étrangers (de moins en moins…), il est assez difficile de se lier avec des locaux (barrière de la langue) et vous nouez rapidement des liens avec vos congénères occidentaux. Je n’ai donc pas été isolée pendant ce voyage (je l’aurais été que je n’aurais pas été dérangée plus que cela, je voulais simplement ajouter une note sociologique sur les expatriés). J’en profite d’ailleurs pour aller plus loin et vous livrer sur ce sujet quelque chose qui m’a étonnée au début, puis on s’habitue. Quand je croisais, très rarement, un Occidental dans la rue, aucun signe de reconnaissance. Je me serais attendue à quelque chose, nous sommes tous perdus dans cette grande ville refermée sur elle-même et en même temps très peu nombreux… La même chose dans ma résidence, qui abrite pas mal d’Américains travaillant pour Universal Studios ; je les croise dans l’ascenseur et c’est toujours moi qui prend l’initiative d’esquisser un bonjour (en Anglais, bien sûr !). Bref, vous êtes dans le cercle ou non, c’est assez bizarre. Mais vous pouvez aussi bien y rentrer très rapidement. De petites communautés qui se créent, avec très peu de brèches dans leurs circonférences pour laisser entrer les gens, sauf quand vous êtes introduits bien sûr, mais quand vous êtes dedans, c’est une famille chaleureuse qui vous accueille.
Pour en revenir à l’excursion elle-même, après un dîner « roots » assez bon, nous voilà lâchés dans ce parc illuminé et coloré, arbres, bâtiments ayant tous revêtu leurs habits de gala ; même la montagne environnante s’était drapée dans une fausse skyline de Grande Muraille assez impressionnante. Nous nous sommes égayés dans un ensemble de lumières en kaléidoscope, portées par les arbres et les montagnes alentours, confrontés à une esthétique très différente de la nôtre. Les Chinois adorent les couleurs et tout ce qui brille, ils associent des tons contraires dans une joyeuse cacophonie (vu de nous) et seraient très étonnés s’ils lisaient un journal féminin occidental, où il vous est parfois recommandé d’éviter l’association du jaune fluo et du rose (« mais-avec-le-jaune-moutarde-c’est-parfait »). Eux ne se posent pas toutes ces questions, les couleurs ont ici des symboliques, le rouge étant avec le jaune, les deux couleurs reines (红色/黄色) mais toutes peuvent se mélanger et si vous ajoutez du brillant et de la lumière c’est mieux !




Et puis, la première incursion dans le monde des sculptures de glace, bonne nouvelle, il ne fait pas -10° comme annoncé, plutôt -5° et quand même à approcher ces éléments, nous comprenons l’étymologie du mot « glacial », car se dégage d’eux un froid qui vous transperce. La première de ces structures est assez classique, un petit labyrinthe dans lequel bien des enfants passent en riant, cela fait chaud au coeur (bienvenu vu la température !).

Nous entrons dans le saint du saint, l’antre des sculptures, placées sous le signe des JO de l’hiver prochain. C’est à la fois un hymne à la Chine, à sa puissance communiste et à son patriotisme sportif (le même que chez nous, soyons clair), et un assemblage de figures tutélaires du pays, des lotus, des dragons, de belles courtisanes figées dans cette transparence glacée, cernée par la blancheur de murs en stalactites. Mais aussi le boeuf, nouvelle star de la prochaine année.










Une promenade à la fois bien froide et chaudement illuminée de toutes parts en nuances vibrantes et changeantes. Belle aventure au bout du monde dans ma ville.
FB
Merci pour ton reportage extraordinaire
Bonne suite, avec mes amitiés 🙂