Xi’an est en Chine une ville d’histoire, elle fait partie des quatre capitales de l’Empire au travers du temps, choisie comme centre du pays par 13 dynasties, dont celle des Tang, qui a régné sur le pays du début du VIIe siècle au début du Xe siècle. Elle a également abrité la résidence du premier empereur de la dynastie des Qin au IIIe siècle avant JC, Qin Shi Huang (秦始皇, prononcez Tsin Che Ruang), l’homme qui a unifié la Chine, mettant fin à la période dite des Royaumes combattants, qui a vu pendant deux siècles sept rois se faire la guerre en permanence.
L’histoire de ce roi est assez extraordinaire, elle commence comme une tragédie antique mâtinée d’une pincée de vaudeville. Le père du futur empereur, Yi Ren, apparenté à la famille royale des Qin, ayant été envoyé comme otage dans un autre royaume, un marchand le prit sous sa protection et persuada l’épouse du roi de Qin, qui n’avait pas d’enfant, de l’adopter. Pour mieux arriver à ses fins, il céda son épouse, une très belle femme à Yi Ren lui-même. De fil en aiguille, suite à des décès plus ou moins naturels, le jeune fils du prince Yi Ren se retrouva sur le trône à l’âge de treize ans, avec sa mère pour régente et le marchand pour Chancelier… Ce début de règne se fit dans une atmosphère de complots de toutes sortes. Jusqu’à ce que le roi prenne le pouvoir à 22 ans, écartant tous ceux qui essayaient de lui faire de l’ombre.
Si je vous raconte cela, c’est que ces débuts quelque peu agités ont sûrement forgé son caractère, homme combattant, visionnaire, avec beaucoup d’ego et faisant preuve d’une méfiance à toute épreuve, on le serait à moins. Il recherchait l’immortalité pour ne pas affronter la mort, et on pense que c’est l’absorption de perles rouges de mercure, fabriquées par un charlatan comme élixir de vie éternelle, qui a causé sa mort à l’âge de 49 ans, ironie suprême.
Au-delà de leur côté rocambolesque que l’on suit comme un roman, ces faits expliquent bien des choses sur la manière dont le souverain a conçu son tombeau. Sa sépulture s’étend sur presque 60 km² et pour le moment seule l’armée a été mise à jour. Le tombeau principal se trouve sous un tumulus de 75 mètres de haut (115 à l’origine) et n’a pas été encore ouvert ; il est à peu près certain qu’aux alentours se trouvent également d’autres fosses qui appartiennent au même ensemble et qui n’on pas été encore découvertes. De même que bien des princes et nobles se sont sûrement fait enterrer aux alentours. C’est un gigantesque mausolée qui doit s’étendre dans ce sous-sol et dont on ne sait encore rien, excitation de la découverte à venir…
La mise à jour de cette armée s’est faite par hasard, assez tard, en 1974, quand un paysan a creusé la terre pour trouver de l’eau ; à cinq mètres de profondeur il a trouvé une première statue… La guide qui m’accompagnait ce jour-là m’a dit que ce n’était pas la première fois que le site était découvert, mais que chaque fois les excavations avaient été refermées car les habitants pensaient que c’était une malédiction.
Après cette mise en contexte, venons-en au principal. Ce matin du 25 décembre (j’avais choisi un lieu « prestigieux » pour me consoler de l’absence de Noël), après une traversée d’une ville nouvelle toute en grisaille (la pollution est très forte l’hiver ici, plus de dix fois celle de Paris), j’ai atteint ce site, qui m’a paru tout « déplumé »… Des jalonnements d’immenses files d’attente vides, des dizaines de guides attendant le touriste (j’avais pris une guide, heureusement, elle m’a protégée si je peux dire, de la horde de sollicitations – le Covid19, comme dans tous les sites touristiques est ici aussi une vraie tragédie pour tous ces travailleurs qui en vivent) ; des stands de souvenirs ou des restaurants, parfois à ciel ouvert, où certains des employés s’étaient réfugiés dans leurs portables, tandis que d’autres, battant le sol de leurs pieds frigorifiés, essayaient encore de lancer leurs slogans sur un ton un peu accablé.
Voyons le bon côté des choses, les conditions de visite étaient extraordinaires, presque personne, un rayon de soleil pour illuminer cet ensemble. Et cela a été magique, presque comme un arbre de Noël 🙂 !
Ce que nous pouvons voir ici se rapporte uniquement à une armée ; le souverain a fait réaliser des milliers de soldats et de chevaux en terre cuite, avec un grand raffinement, puisque tous les visages sont différents, pour l’enfouir à l’est de son tombeau, là où se trouvaient les régions les plus indisciplinées, car son rôle était de protéger l’empereur de toute menace.
Le premier hall nous montre deux chariots de bronze, réalisés pour que l’âme de l’empereur puisse continuer à faire ses tournées sur la terre ou dans les cieux. Les chevaux portent également parures d’or et d’argent.




En voyant ces chevaux, mi-terre cuite mi-bronze, j’ai pensé aux cavaliers de l’Apocalypse, tellement ils semblent être des ombres venues de l’au-delà… C’est une reconstitution minutieuse, façon puzzle, qu’il a fallu mener ici, pour nous donner une idée du raffinement de l’ensemble. Magnifique.
Viennent ensuite les fosses proprement dites, la première étant la plus spectaculaire, à couper le souffle… Grande comme deux stades de football (je vous ai déjà dit, tout est grand dans ce pays), elle abrite plus de 6000 fantassins, de tout jeunes hommes (leur chignon en est un signe, plus âgés, ils porteront une coiffe), dont les armes de bronze ont été volées juste après la construction par les populations avoisinantes (notons que l’Empereur avait fait tuer tous les ouvriers ayant participé à la construction, finalement cela n’a pas été si utile que cela). Des fantassins à la fragilité de la jeunesse et au regard muet et résigné, comme s’ils comprenaient déjà leur destin de mort. Statues reconstituées voisinant avec d’autres qui sont encore en morceaux comme pour accentuer cette idée de destin inflexible.







La deuxième fosse contient principalement des archers, et c’est là que se trouvent ces figures si célèbres, dans l’ordre ci-après, un archer, un général du sud de la Chine (petit et mince) et un général du nord de la Chine (grand et costaud). Figures à la fois hiératiques et si vivantes dans leur expression. Nous comprenons ici, à voir de près ces silhouettes, qui ne sont que quelques exemples extraites de cette foule soldatesque, le temps qu’il a fallu pour construire cette armée.



Enfin, la troisième fosse, plus petite, nous fait découvrir l’état-major de l’armée, aux cottes de maille impeccable, semblant attendre l’ordre de donner l’attaque pour l’éternité.


Voyage dans la démesure d’un empereur du passé, qui nous transmet ici un message de l’au-delà, fait de culture et de mort à la fois, c’est un moment dont je me souviendrais.
FB
Merci Florence pour ce bel article er ces belles images.
Belle évocation d’une chine disparue
Merci Fred, nous sommes d’accord ! Mes meilleurs voeux.
Encore un reportage à couper le souffle. Très, très impressionnant, éclairé par de passionnants éléments de contexte.
Bravo et merci. 😀