Voilà un film que j’ai failli ne pas aller voir, la bande d »annonce ne donnant pas vraiment envie et me rappelant le naufrage de « Dunkerque » (2017), lourd et peu convaincant, décevant pour un cinéaste de la trempe de Christopher Nolan. Là encore, un vrai bon cinéaste, Sam Mendes, est à la manoeuvre, mais qui sait… S’il nous a ravi avec deux films intimistes (« American beauty » en 1999 et « Les noces rebelles » en 2008), il aborde ici un tout autre sujet. Filmer la guerre n’est pas donné à n’importe qui, surtout celle-ci, qui, bien qu’ayant été une vraie boucherie (9 millions de morts militaires et autant de civils et 21 millions de blessés pour l’ensemble des protagonistes) et un bouleversement social de grande ampleur, est maintenant bien loin de nous, un siècle en arrière. Mais ayant lu rapidement une excellente critique, je me suis risquée à aller le voir.
Nous sommes en avril 1917, à un moment vraiment noir dans cette guerre qui l’était déjà. La Russie entre dans l’immense soubresaut de la Révolution qui va la conduire à la fondation de l’U.R.S.S. et lâche le front de l’Est contre l’Allemagne ; les Etats-Unis n’ont pas encore pris la décision d’entrer en guerre, la France et l’Angleterre sont seules à défendre le front en France et nous sommes au début de la désastreuse offensive dite du « Chemin des dames » entre Reims et Soissons, où le Général Nivelle envoie à la mort 270 000 soldats français, sur une erreur d’appréciation stratégique (s’ensuivront nombre de mutineries de soldats français et aussi, puisque nous sommes tous épris de justice, la dégradation dudit Général).
Au moment où commence le film, les caporaux anglais Blake et Schofield, de tout jeunes officiers, vont se voir confier une mission (presque) impossible, rallier une autre compagnie pour porter un message officiel qui peut éviter la mort de 1600 soldats (dont le frère de Blake). Nous allons suivre leur aventure dans un temps resserré, l’offensive qu’ils doivent stopper devant avoir lieu le lendemain matin de leur départ.
La ligne de force du film est bien sûr cette mission haletante, pleine de rebondissements, de hasards qui se conjuguent bien ou mal, de difficultés insurmontables qui peuvent parfois être surmontées. Vont-ils réussir ou non ? C’est la question qui nous habite pendant que nous regardons les événements se dérouler à l’écran. Je ne vous dirai pas quelle sera l’issue de cette course contre la montre, vous le découvrirez tout seul. Disons que cette ligne de récit est assez classique, de futurs héros pris dans une quête a priori impossible.
Ce qui fait la particularité de ce film et qui le distingue d’autres opus, est d’abord le parti-pris du metteur en scène de tout filmer en un long plan séquence ; prouesse cinématographique qui est en totale adéquation avec l’urgence de la situation. Car la caméra ne lâche jamais les deux hommes tout en sachant ouvrir de longs panoramiques sur ces paysages dévastés qui les entourent. Naît ici comme une dynamique fiévreuse qui vous prend au corps, la mission en devient à la fois haletante et très réelle. C’est une performance filmique que je n’avais jamais vue jusque-là.
Un deuxième point fort du film est la reconstitution de ce moment d’histoire. Car le cinéaste parvient à rendre les choses réelles sans s’y appesantir. Aucun voyeurisme ici sur les hommes morts ou blessés, sur toute cette humanité mutilée dans sa chair, bien que les scènes en soient emplies. Car ce qu’il nous montre est quand même une dévastation totale. Dans ce que nous allons parcourir avec les protagonistes, tout n’est que mort et destruction, chevaux, humains, arbres, maisons, il ne reste plus rien de vivant, sauf des rats et des corbeaux, charognards habituels de nos contrées. Et tout est mis sur le même plan, morts humains, vaches sacrifiées, habitats sans toit ni fenêtres, arbres mutilés dans leur floraison de printemps, jusqu’à ne constituer qu’un tout, celui de la ruine qui englobe tout le vivant. Et face à ce monde agonisant, de tout jeunes hommes (enfin le rétablissement d’une vérité, dans ce cinéma qui fait jouer dans ces scènes de guerre des seniors, qui étaient finalement peu nombreux et de moins en moins au fur et à mesure du déroulement du conflit), comme si l’on jouait ici la vie contre la mort.
Peut-être est-ce parce que j’ai découvert toute l’horreur de ce conflit pendant mes études, ce qui m’a fait forte impression, que j’ai tellement apprécié ce film. Mais pas que. Dans notre époque où tant de films nous montrent une violence gratuite et sans objet, il est bon de se rappeler et ce sans débauche de scènes sanguinolentes, que bien peu de temps avant nous, tout du moins à l’échelle de l’Humanité, nous avons vécu des choses atroces et réelles.
J’ai été fascinée par ce film, au point de me demander si je n’allais pas aller le revoir.
FB
Merci pour cette remise dans le contexte historique en préambule, chose que je n’ai pas faite dans mon article.
J’ai toujours un peu de mal à envisager l’amplitude du conflit quand le cinéma s’attache tant à l’humain et au drame individuel. Mendes reconnaît d’ailleurs qu’il n’y a d’intérêt à faire un film de guerre que s’il permet de mettre l’humain à nu.
C’est ici chose faite avec brio, selon un dispositif qui n’aurait pu n’être que vaine prouesse et qui, au contraire, coule de source.