Née en 1938 en Allemagne, cette photographe fait actuellement l’objet d’une exposition passionnante à la Maison européenne de la photographie. Entre parenthèses, je voudrais rendre hommage à cette institution où j’ai vu vraiment de magnifiques choses, moi qui ne suis pas une aficionada de la photographie ; il y a toujours un projet photographique (ou plusieurs) à découvrir ici, de ceux qui vous font réfléchir et rêver à la fois.
Cette Allemande, pendant presque cinquante ans, a parcouru des territoires marqués par l’Histoire ancienne et également théâtres de conflits et de déchirures sociétales. L’Irak, la Mésopotamie, la Syrie, l’Azerbaïdjan mais aussi l’Arménie ou la Jordanie sont les périmètres qu’elle a exploré, à la recherche de la trace laissée par l’Homme, privilégiant les espaces déserts, les limites et les frontières. Elle nous dit les implantations incongrues de l’humain dans ces immensités arides. Elle nous dit notre petitesse, notre difficulté à nous inscrire dans cet espace qui ne nous attend pas. Pas besoin de Dieu pour voir l’immanence que portent ces paysages, résilients à la présence humaine, qui s’efface peu à peu.
Je retiendrai trois séries de photographies, pour illustrer le travail de cette grande dame.
Transit sites – Armenia (1996-2011)
Des arrêts de bus, bien exotiques pour nous, mais encore plus dans ces immensités désolées ; la photographe a convoqué dans ses clichés quelques êtres humains qui paraissent tellement infimes dans cette vastitude. L’architecture de ces édifices exogènes, comme transposés dans un univers qui les dépasse, fait comme un hiatus ; ces structures de béton, battues par les vents et les éléments, faites pourtant pour durer, apparaissent bien fragiles ici.
From Medina to Jordan border (2003)
Ici, la photographe capture tout au long de son voyage les empreintes de la ligne de chemin de fer Hejaz, construite par un de ses compatriotes et destinée à joindre Damas (Syrie) à La Mecque. La Première Guerre Mondiale aura raison de la mise en service de cet ambitieux projet ferroviaire, qui ne verra pas le jour. Tout au long des 1300 kilomètres qui séparent les deux villes, des carcasses de gares, des traces de rails, ponctuent le désert, comme autant d’objets étranges qui résistent à la chaleur jusque-là, s’effondrant peu à peu ou s’enfonçant dans le sol en forme de disparition programmée, à terme.
Sonnenstand (1992)
S’éloignant de son motif de frontière pour privilégier le chemin, l’artiste fait ici une incursion dans une route européenne célèbre, celle de Saint-Jacques (spécial dédicace pour mon père) ; de géographique, le voyage devient vraiment spirituel, même si nous sentions déjà cette dimension dans les autres périples. Ces petites chapelles, humbles, faites de briques nues, s’illuminent à l’instar de la ferveur des pélerins isolés qui les visitent de temps à autre. C’est comme si la photographe rendait ici un sens sacré à ces édifices désertés et hors du temps.
S’appuyant sur une technique d’une précision incroyable, cette femme a construit une oeuvre fascinante, fruit d’un cheminement géographique, certes, avec tous ces périples en terres peu accueillante, mais également intérieur, car, et c’est là ce qui nous touche vraiment, nous sentons un être humain qui se construit dans cette vision qu’elle nous donne du monde.
Et c’est magnifique.
FB
Merci pour cette découverte. 🙂