Cinémas – Roman POLANSKI : J’accuse (2019)

j'accuse

Roman Polanski, né en 1933, a été marqué par l’assassinat d’une partie de sa famille pendant la deuxième guerre mondiale. Il est important de se rappeler ce fait ici, dans cette histoire véridique où l’accusé était d’abord et avant tout Juif.

1894, décembre. Un conseil de guerre décide de dégrader le capitaine Dreyfus, au motif de livraison de renseignements à des puissances étrangères. Il est exilé sur l’Ile du Diable où il est condamné au bagne à perpétuité. Le lieutenant-colonel Picard, promu à la tête du renseignement va se rendre compte que le dossier est bien fragile…

Lion d’argent et grand prix du jury de la Mostra de Venise, édition 2019, le film impressionne par sa maîtrise à la fois de la mise en scène et du récit. Nerveux et rythmé, il nous offre une reconstitution presque parfaite de l’époque, décors, costumes, sans que cela ne vienne jamais voler la vedette au récit. Roman Polanski nous montre encore une fois sa capacité à nous raconter une histoire, et bien que nous en connaissions l’issue, nous sommes captés du début à la fin.

Pour ce faire, il s’est adjoint la crème des acteurs français : Jean Dujardin, excellent dans le rôle de Picard, et nous voyons passer également toute la fine fleur de la Comédie Française, à commencer par le responsable de l’Institution, Eric Ruf, mais nous pouvons citer aussi Bruno Raffaeli, Hervé Pierre, Michel Vuillermoz, Denis Podalydès, Laurent Stocker et Laurent Natrella. Qu’entourent quelques autres acteurs robustes comme Louis Garrel (Dreyfus), Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric ou Vincent Perez. Rarement avons-nous vu tant de talents convoqués dans un seul film. Et tous au diapason car dirigés d’une main de maître ; à l’instar de la maîtrise que nous sentons sur tous les autres aspects du film, rien n’est laissé au hasard ici.

Je voudrais m’aventurer sur deux autres questions connexes au film.

Ce dernier montre un antisémitisme qui nous paraît choquant aujourd’hui. Mais rappelons nous que la France de l’époque était très hostile aux Juifs. Et que Hitler s’est inspiré d’un certain nombre d’auteurs français pour construire son programme : Arthur de Gobineau (1816-1882), diplomate et homme politique français, auteur notamment d’un « Essai sur l’inégalité des races humaines » (1853-1855) ; et Georges Vacher de la Pouge (1854-1936) qui a développé l’idée de la suprématie de la race aryenne. Ce sont des penseurs majeurs pour le futur responsable du génocide. Depuis est passé le traumatisme de la Shoah, mais n’oublions pas l’Histoire.

Autre point, la controverse autour de la personnalité du réalisateur, qui est accusé d’avoir des penchants pédophiles. Se pose une question fondamentale : faut-il boycotter une oeuvre dès que l’auteur enfreint la justice ou la morale ? Une controverse similaire a entouré ainsi l’écrivain norvégien Knut Hamsun, qui avait adopté les idées des Nazis et fréquenté certains des oligarches du Parti. Pour ma part, j’aurais une réponse modérée sur ce point. Je pense qu’il faut distinguer la personne de son oeuvre. Si cette dernière tombe sous le coup de la loi, incitation à la haine raciale, encouragement au meurtre ou à la pédophilie, il est normal de l’interdire. Mais la vie privée des auteurs doit rester en dehors de cela. Sinon, comment pourrions-nous aujourd’hui lire Sade (atteinte aux moeurs) ou Céline (antisémitisme) et bien d’autres dont nous ne connaissons pas l’intimité ?

Pour en revenir au film, vraiment à voir.

FB