Arts plastiques – Fabienne VERDIER : Maîtres flamands (2009-2013)

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Fabienne Verdier est une artiste française née en 1962, dont j’avais croisé la route en lisant « Passagère du silence » (2003) où elle contait son apprentissage de la calligraphie en Chine auprès de maîtres anciens, pendant presque dix ans. De cette expérience initiale forte, elle a tiré un savoir-faire qu’elle n’a cessé de développer mais aussi un chemin philosophique qu’elle arpente depuis, pour substituer à l’immédiateté de la représentation une vision spirituelle du monde, qui prend son temps, va à l’essentiel pour en saisir la substance.

Au Musée Granet, à Aix-en-Provence, se tient actuellement une très belle exposition, qui montre plusieurs pans de son oeuvre au travers du temps, jusqu’à un travail récent autour de la Montagne Sainte-Victoire, en résonance à Paul Cézanne. L’artiste s’est complètement engagée dans cette aventure, jusqu’à épuisement, comme elle le dit, pour nous livrer ces tableaux magnifiques, car c’est pour elle une question d’énergie qui circule entre elle et le monde qui l’entoure.

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Je voudrais faire un « zoom » sur un moment particulier dans son expérience, sur son travail autour de peintres flamands, qui m’a enthousiasmée ; je dois dire que je n’avais pas vu une telle oeuvre depuis longtemps.

Au préalable, je voudrais raconter une histoire qui, je pense, éclaire ce que nous allons voir.
En Chine, l’empereur fait quérir le plus grand peintre du royaume pour peindre deux dragons, les plus réalistes qui soient. Le peintre se met à l’ouvrage, le temps passe, l’empereur s’impatiente… Jusqu’au jour où l’artiste dit que son oeuvre est terminée. Et là, devant l’empereur et sa cour, il dévoile deux tableaux faits chacun d’un trait, rouge l’un et noir l’autre. L’empereur, s’estimant trompé, le fait exécuter. Et le soir, en passant près de ces deux toiles, il voit les deux dragons s’animer comme s’ils étaient réels… Car le peintre, après avoir essayé de restituer la puissance et la beauté des animaux jusque dans le détail de leurs écailles, a fini par prendre le contre-pied de cette démarche jusqu’à épurer le trait pour en garder juste « la substantifique moelle ».

C’est de cela qu’il est question ici. D’une re-visitation de ces chefs d’oeuvre du Moyen Age pour en tirer toute la force, dégagée des détails esthétiques et des notations symboliques qu’ils portent. En montrer uniquement la substance vibrante et dynamique, comme pour les réinscrire dans une temporalité qui avance, leur trouver une dimension intemporelle qui les fait sortir du statut d’oeuvre ancienne pour leur donner un nouvel avenir. Je vous livre ici ces morceaux d’art, qui fait hommage à ces tableaux en les emmenant vers une ouverture insoupçonnée.

Portrait de Margareta Von Eyck, Jan Van Eyck (1439)

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Margareta J. La pensée labyrinthique (2011)

Le rythme grège de la dentelle se déploie sur cette large toile, sur fond rouge mâtiné de noir. Trois couleurs essentielles du tableau initial reprises ici en forme de mouvement perpétuel.

Maître de Bruxelles : Christ de douleur (vers 1480)

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Petit sang du Christ (2011)

C’est la plaie au côté du Christ qui est représentée ici, avec les éclaboussures de sang faites par le pinceau, le Sacré trouvant sa place dans l’or de l’arrière-plan. Nous sommes dans l’essence spirituelle de ce que le peintre voulait nous montrer.

Saint-Luc dessinant la vierge, Roger Van Der Weyden (1490)

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Ceinture de Saint-Luc (2011)

L’artiste s’attache ici à l’infiniment petit, un détail de ce tableau foisonnant, la ceinture du chanoine, qu’elle transcrit sur 12 toiles, comme un rythme, fait de rouge et de noir en forme d’électrocardiogramme (vie et mort ?).

La Vierge et le chanoine Van Der Paele, Jan Van Eyck (1436)

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Le vitrail derrière la Vierge se fait ici rythme et puissance, gardant du plomb qui enserre le verre ces larges cercles non finis (donc infinis dans leur mouvement), qui s’étalent sur un fond de verre/argent.

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Sedes sapientiae II (2011)

Manteau écarlate sur fond vert, stridence des couleurs au milieu du tableau, saisie en un mouvement unique et ample, dans toute la complexité des plis de l’étoffe ;  la Madone prend sa place de femme sacrée et pleurante au centre de l’oeuvre.

Triptyque Moreel, Hans Memling (1484 (détail)

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Lignes de dévotion « Barbara et ses filles en prière » (2012)

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Portrait de famille « Barbara et ses filles en prière » (2012)

Les trois femmes,  Barbara van Vlaenderberch la donatrice et ses filles, qui forment le panneau latéral droit du triptyque, sont saisies dans leur essence dynamique. Noir sur blanc, silhouettes orantes, auxquelles les plis blancs et noirs de la robe font comme un écrin.

Quand une femme occidentale, éprise de spiritualité orientale, redécouvre la religion catholique dans ses oeuvres les plus emblématiques, cela donne quelque chose qui tirerait vers l’absolu en mariant les deux cultures a priori si dissemblables.

Merci beaucoup au Musée Granet de m’avoir fait faire une si belle rencontre.

FB