Les films des Frères Dardenne, ces deux frères belges de plus de soixante cinq ans qui font oeuvre commune depuis presque quarante ans, sont des oeuvres sociales, en cela qu’elles cherchent à décrire la société, au plus proche des gens, souvent de classes moyenne ou modeste, et des dilemmes qui les habitent. Tel Cyril, dans « Le gamin au vélo » (2011) qui cherche à tout prix à retrouver son père ; telle Rosetta, du film éponyme (1999), que nous suivons dans sa recherche de travail, parcours hérissé de dureté ; tel Bruno qui doit apprendre à devenir un père, passant brusquement de l’adolescence à l’âge adulte (« Le fils », 2005).
Ici, Ahmed, 13 ans, fils d’une femme seule (le père est-il parti ? ou mort ? Nous ne le saurons pas), qui se cherche un absolu, se met à pratiquer la religion musulmane jusqu’à endosser les habits de l’extrémisme. Guidé en cela par un Imam (figure de père ?) qui finit par l’encourager à commettre un attentat. Nous le suivrons ensuite dans une tentative de réhabilitation en centre sécurisé ; je ne vous en dit pas plus.
Tout l’art des Frères Dardenne réside dans l’économie et la recherche du réalisme. A l’instar des personnes qu’ils filment, bosselés par la vie, parfois à la limite de la survie et qui ne s’encombrent pas de moments vides ; aucun temps mort ici, nous avons compris dès les dix premières minutes (de cet opus court de moins d’une heure trente) la position d’Ahmed, qui refuse de serrer la main de la professeur qu’il connaît depuis des années, rappelle à l’ordre ses amis qui l’empêchent d’étudier le Coran, reproche à sa mère de boire de l’alcool et à sa soeur de s’habiller « comme une pute » [sic]. Cette tension de la mise en scène va se poursuivre tout le film et nous ne savons pas jusqu’au bout dans quel bord Ahmed va basculer.
C’est un film glaçant, porté par un jeune acteur extraordinaire, Idir Ben Addi, volontaire et buté, qui rend parfaitement l’engagement de ce jeune adolescent, avec des éclairs de maturité qui font froid dans le dos. Les cinéastes sont de magnifiques directeurs d’acteurs et ont révélé certains d’entre eux qui font maintenant carrière, comme par exemple Emilie Dequenne (Rosetta).
Film fiévreux et néanmoins presque classique sur ce sujet qui nous occupe depuis si longtemps, la radicalisation, il ouvre subtilement une porte de compréhension du sujet, lorsque la mère d’Ahmed lui dit au début du film qu’elle préférait quand il était sans cesse vissé à sa Playstation (faut-il vraiment mettre une majuscule à ce mot ? Puisque c’est une marque déposée, je veux bien, mais pour le reste, j’ai des doutes… 🙂 ). Car maintenant que nous avons mis à bas les mondes politique et des idées, il reste peu de manières d’expression à ces jeunes épris d’absolu comme nous l’étions à leur âge. La religion en est une, à l’instar des sectes qui absorbaient nombre d’entre eux dans les années passées ; les jeux vidéo et les réseaux sociaux en sont une autre, presque sur le même plan (rappelons-nous que l’embrigadement des jeunes qui sont partis en Syrie est essentiellement passé par là). Et un troisième, plus « healthy » de mon point de vue, l’engagement pour la planète et sa survie.
Je dérive… Reste un film très bien mené, qui résume en un temps très court ce sujet brûlant. Il a obtenu le Prix du jury au Festival de Cannes édition 2019 et c’est très bien.
FB