Théâtre – ESCHYLE : L’Orestie (458 Av. J.C.)

J’ai découvert il y a quelques années le théâtre grec dramatique dont j’ai lu les grands auteurs, Eschyle (526-456 Av. J.C.),  Sophocle (496-406 Av. J.C.) et Euripide (485-406 Av. J.C.) avec plaisir et fascination. Cette discipline, à l’origine du théâtre que nous connaissons, s’en détache cependant par le caractère religieux et citoyen qui est le sien. Les pièces sont jouées à l’occasion des cycles festifs consacrés aux Dieux (Dyonisos en premier lieu) et ont une vocation d’éducation du peuple, en faisant notamment des  exemple des personnalités déviantes de la mythologie.

Car les thèmes abordés par ces trois auteurs, ainsi que par d’autres moins connus, sont assez constants, tournant principalement autour de deux dynasties maudites :

  • Les Atrides : à l’origine, deux frères, Atrée et Thyeste qui se battent pour une couronne. Ils commettront dans ce but des crimes plus atroces les uns que les autres : Atrée servira à table à son frère les enfants de ce dernier, il couchera avec sa propre fille, engendrant un fils, Egisthe, avant que celle-ci épouse son oncle Thyeste. Les deux fils d’Atrée, Ménélas et Agamemnon, sont au centre de la Guerre de Troie. La femme du premier, Hélène, se fait enlever par Pâris, fils du couple royal de Troie, ce qui déclenchera la fameuse guerre. Le deuxième prendra la tête des armées, n’hésitant pas à sacrifier sa fille Iphigénie, égorgée sur un autel, pour amadouer les Dieux. L’horreur ne s’arrêtera pas là ; de retour au pays, Agamemnon est assassiné par Clytemnestre sa femme, qui a pris pour amant Egisthe. Quelque temps après, Oreste, le fils d’Agamemnon, aidé par sa soeur Electre, tuera à son tour sa mère et son amant.
  • Les Labdacides : à l’origine Laïos, le Roi de Thèbes, épouse Jocaste dont il a un fils, Oedipe. Ayant appris par une prophétie que son fils le tuera et épousera sa mère, il l’abandonne. La prophétie se réalisera cependant, Oedipe épousera sa mère, le couple donnant naissance à deux jumeaux Etéocle et Polynice ainsi qu’à deux filles Antigone et Ismène. Ayant appris la nature incestueuse et atroce de leur union, Jocaste se pendra et Oedipe, qui s’est crevé les yeux avec la broche de sa mère, sera chassé de Thèbes par ses fils, qu’il maudira et parcourra le monde avec l’aide de sa fille Antigone. Commence alors le deuxième volet de l’histoire. Etéocle et Polynice ont décidé de régner un an chacun en alternance sur Thèbes, mais Etéocle refuse de rendre le pouvoir à son frère lorsque le terme est arrivé. S’ensuit une guerre où tous les deux vont perdre la vie. Leur oncle, Créon, décide de faire des funérailles royales à Etéocle et de laisser le corps de Polynice sur le champ de bataille, interdisant à quiconque sous peine de mort de l’ensevelir. C’est Antigone qui va se dresser contre son oncle ; elle finira ensevelie vivante dans un tombeau.

La Guerre de Troie traverse bien sûr la première l’histoire de la dynastie des Atrides, ajoutant un souffle épique aux pièces qui la prennent pour motif.

De tout cela vient sans doute la force tragique de ces écrits, concis et empreints d’une beauté un peu abrupte parfois mais poétique et intemporelle.

Je supplie les Dieux de mettre un terme à mes peines,
Cela fait tant d’années que je monte la garde, couché
Sur le toit du palais de Atrides, comme un chien,
J’ai vu se rassembler les astres de la nuit,
Ceux qui ramènent et l’hiver et l’été aux mortels,
Ces princes lumineux qui brillent dans l’éther,
Les étoiles quand elles se couchent, et leur lever.
Je guette encore le signal du flambeau,
La clarté de ces flammes qui apporteront
La nouvelle de la prise de Troie ; selon les ordres
D’un cœur aux desseins virils, impatients, celui d’une femme.
Sur cette couche de fortune, imbibée
De rosée, que ne vient effleurer aucun songe —
La crainte à mon chevet écarte le sommeil,
Empêche mes paupières de se refermer sous son poids —
Quand je veux chanter ou fredonner,
Cherchant dans quelque air un remède contre ma torpeur,
Je fonds en larmes, gémissant sur le sort de cette maison,
L’on ne fait plus rien pour préserver son harmonie.
Puisse-t-il arriver, l’heureux terme de mes travaux,
Qu’un trait de feu, de bon augure, vienne percer les ténèbres !
Ah salut, torche qui fais lever le jour au cœur de la nuit,
Éclatante clarté, bientôt saluée par d’innombrables
Chœurs à Argos en l’honneur de cette victoire,
Hourra ! Hourra ! [Le veilleur, début de la pièce « Agamemnon », Eschyle]

Etait donnée ce samedi à l’Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France la trilogie d’Eschyle dite « L’Orestie », composée des pièces « Agamemnon« , « Les Choéphores » et « Les Euménides »), centrée sur Agamemnon et son fils Oreste. Un marathon théatral de presque six heures.

Je me réjouissais de voir ces textes mis en scène, je n’avais jamais eu l’occasion de les voir joués. Las, quelle déception…

En effet, peu m’importe que la mise en scène soit plus que minimaliste (encore que). Mais c’était ici une vraie injustice faite au texte. Dit sans aucun relief, désincarné (au sens premier du terme), il ne véhiculait que platitude et ennui. Et ce n’étaient pas les quelques affèteries de mise en scène, comme des mises en musique (tambour et luth) qui parvenaient à relever l’ensemble. Ajoutons à cela le choix (malencontreux ici de mon point de vue) d’une actrice au très fort accent italien pour jouer Clytemnestre, ainsi qu’un principe assez bizarre qui faisait que certains acteurs lisaient leur texte, cela n’ajoutait pas vraiment à l’élan qui aurait dû nous emporter.

Plusieurs spectateurs ont déserté la première représentation, fuyant par les coursives ; j’ai résisté stoïquement aux deux heures trente de pensum du premier opus, mais je pense qu’il ne devait plus y avoir grand monde pour « Les Choéphores ».

Toute oeuvre théatrale peut prendre vie sous les mains d’un metteur en scène habile ; ce ne fut pas le cas ici et je suis en colère car ce sont de telles performances qui stigmatisent encore un peu plus ces oeuvres comme dépassées et ennuyeuses.

Vraiment dommage…

FB